Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Au rive gauche
29 juillet 2011

Un frère peut en cacher un autre !

paysans_reymont_livre"— Jozia, allume dans la cheminée, prends tout ce qu'y a de marmites, remplis-les d'eau, et mets-les sur le feu. Moi je cours chez le juif chercher les condiments.
— Dépêchez-vous, Jambrozy sera là d'un moment à l'autre...
— J'ai bien le temps ! Crie donc aux gamins qu'ils se dépêchent de racler l'auge et de la traîner sur la galerie. Quand Jagustynka sera là, qu'elle lave les seaux ; faut aussi sortir les tonneaux de la chambrette et les rouler à l'étang pour qu'ils trempent ; mais n'oublie pas d'y mettre des pierres, pour que l'eau ne les emporte pas. Ne réveille pas les enfants, qu'ils dorment seulement les petits rats, on sera plus au large..;
Le jour s'était à peine levé, nuageux, humide et désagréablement froid ; des brumes blanches s'élevaient de la terre humide et retombaient en bruine froide ; les chemins glissants et saturés d'eau luisaient et les chaumières noircies étaient à peine visibles par ce vilain temps ; les arbres mouillés, pelotonnés, apparaissaient ça et là en ombres tremblantes, comme s'ils étaient eux-mêmes formés de brumes tassées, vitreuses ; ils regardaient dans l'étang à peine bleuté. Sous ce rideau touffu se faisait entendre le glouglou frémissant, assourdi des gouttes qui frappaient sans cesse la surface de l'eau. Et partout il brouillassait, si bien qu'on apercevait à peine le monde du bon Dieu. Tout était d'ailleurs encore désert. Ce n'est que lorsque la cloche commença sa sonnerie gémissante que se montrèrent ça et là les vêtements rouges des femmes qui se rendaient à l'église par les endroits les plus secs.
Hanka hâta le pas, calculant que peut-être elle rencontrerait Jambrozy déjà au tournant devant l'église, mais il n'était pas encore sorti... 
Vite, elle s'engagea devant l'église sur un chemin encore plus boueux, car il était planté de rangées de peupliers immenses, si bien noyés dans le brouillard que leurs ombres mouvantes se silhouettaient comme derrière une vitre embuée ; elle passa le cabaret et prit à droite un chemin de terre tout en vase liquide.
Elle avait réfléchi qu'elle avait encore le temps d'aller voir son père et de bavarder avec sa sœur ; elles s'étaient tout à fait raccommodées ensemble depuis l'emménagement chez Boryna. Ils étaient tous dans la chaumière.
—  Jozka a conté hier que père était souffrant, commença-t-elle.
—  Peuh... pour ne pas nous aider, il reste couché sous sa peau de mouton, il geint, et il prétexte la maladie, repartit Weronka, maussade.
—  Il fait un froid chez toi, qui vous lèche quasiment les mollets.
Elles soupirèrent toutes deux sur leur isolement et leur abandon."   (L. Reymont) 

un_mariage_filmUn mariage, puis un roman sur la paysannerie, où que ce soit, rien n'illustre mieux les conditions qui furent les miennes au départ. Celles auxquelles mes frères Marcel, dans un premier temps, et Abel dans un second m'aideront à m'arracher. Tel un travailleur immigré, toutes proportions gardées. 
Marcel, puisque c'est de lui dont il s'agit aujourd'hui encore, aurait plus que certainement été le dernier à considérer le lien qui nous unissait lui et moi du point de l'homosexualité, refoulée bien entendu. Et moi de même, à l'époque ! 
Cependant, il m'a suffi d'entendre dernièrement les propos de ma belle-sœur, à l'enterrement d'Abel pour mesurer à quel point nous étions liés "nous, les frères Courgey", et d'ajouter "comme les cinq doigts de la main". C'est elle la première qui mettra à mal cette apparente union, telle une boule sur un jeu de quilles. Et les autres belles-sœurs viendront à l'appui, successivement. 
Cela dit, nous ne saurons jamais quelle est celle que Marcel allait épouser, ni quelle place elle aurait eu au sein de notre fratrie modifiée. Sans risque de beaucoup me tromper, il me semble qu'elle aurait probablement eu le rang correspondant à la place de Marcel au sein de notre hiérarchie familiale. C'est ainsi et pour cette raison que la femme de l'aîné supplanta la première de mes sœurs, en se positionnant juste après notre mère. 
Tout ceci paraitra pour le moins dépassé aux générations actuelles, toutes imprégnées d'un égalitarisme en tous points, aussi satisfaisant intellectuellement parlant qu'inutile du point de vue de la transmission. 
Les grosses familles, ainsi qu'on les appelait, étaient en quelque sorte la cellule vivante d'un organisme beaucoup plus grand. Régies par les lois de la dynamique de groupe; elles produisirent en conséquence les mêmes effets, sécrétant nécessairement des oppositions de principe. À l'instar de ce qui se passe dans le livre : Totem et tabous de Freud. C'est donc au sein de ce registre que je placerai l'histoire de ma révolte personnelle. Laquelle, en fonction des circonstances sociales, s'exprimera un jour politiquement. C'est ainsi qu'on ne nait pas révolutionnaire, on le devient !  >> Lire encore

Commentaires
Au rive gauche
Visiteurs
Depuis la création 73 459
Derniers commentaires