Bar-des-Chaprais
Au Grand Café, vous êtes entré par hasard, Tout ébloui par les lumières du boul'vard, Bien installé devant la grande table, Vous avez bu, quelle soif indomp­table, De beaux visages fardés vous disaient bonsoir, Et la caissière se levait pour mieux vous voir. Vous étiez beau vous étiez bien coiffés, Beaucoup d'effets.

Au Grand Café, Comme on croyait que vous étiez voyageur, Vous avez dit des histoires d'un ton blagueur, Bien installé devant la grande table, On écoutait cet homme intarissable, Tous les garçons jonglaient avec Paris-Soir, Et la caissière pleurait au fond d'son tiroir. Elle vous aimait, elle les aurait griffés, Tous ces gueulards, ces assoiffés, Ces assoiffés du Grand Café, Par terre on avait mis d'la sciure de bois, Pour qu'les cracheurs crachassent comme il se doit. Bien installé devant la grande table, Vous invitiez des Ducs, des Connétables, Quand on vous présenta, soudain, l'addition, Vous avez  déclaré : "Moi, j'ai pas un rond", Cette phrase-là produit un gros effet, On confisqua tous vos effets, Vous étiez fait au Grand Café, Depuis ce jour, depuis bientôt soixante ans, C 'est vous l' chasseur, c'est vous l' commis de restaurant, Vous essuyez toujours la grande table, C'est pour payer cette soirée lamentable, Ah, vous eussiez mieux fait de rester ailleurs, Que d'entrer dans ce café plein d' manilleurs, Vous étiez beau, le temps vous a défait Les mites commencent à vous bouffer ! Charles Trenet
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Le-cafe-du-pontTous partants au bar des Chaprais turf ! ...
"Installé dans le quartier, je me sens de jeter un d'œil en une fin d'après-midi, interminable, au bar PMU des Chaprais. "Si t'as le bec fin, vas voir à Passy... !" Brassens, Le bistrot.
Ici, on joue, on gratte, on parie, on gagne parfois, on perd sûrement, jamais bredouille néanmoins. On ne vient pas ici que pour jacter. On se laisse vivre, on égraine les heures, poussé par le temps qui passe. "Tu trouveras là, la fine fleur de la populace, tous les marmiteux, les calamiteux, de la place..." Ibidem.
Sûrs de leur fait, ces désœuvrés n'y viennent pas pour s'en jeter un sur le pouce, poussés par l'habitude, attirés par ils ne savent pas quoi exactement. N'ayant nul ailleurs où aller, beaucoup feront la fermeture. C'est un lieu de vie, de survie. Où ce qui leur reste d'existence ne s'écoule, jamais la même, bien qu'iden­tique, comme l'eau d'une rivière. Rien que des personnalités, peu banales, triées sur le volet ! Il arrive qu'on tombe sur une table normale, entourée de gens, de vrais clients.
Ici, tous se connaissent. Viens-y deux ou trois fois et tu es admis, affublé d'un surnom aussitôt. A l'instar de ces gens en fauteuils roulants, surnommés : les motards !
Le temps s'étire faussement lentement. S'égrène sans qu'on n'y prenne garde, à notre insu. Ici, tous les jours se ressemblent, à l'exception du jour de fermeture. Le temps à tuer conditionne l'ambiance, la composition sociale du groupe.
Là, les faux semblants conformistes ne sont pas de mise. Le Café des Chaprais a ses propres codes. Peu de va-et-vient, peu d'é­changes extérieur/intérieur, sauf à fumer une clope. Tous les mouvements sont lents, non réfléchis. Les palabres, lancés à la cantonade, inspirent les autres. Non seulement, il y a le turf, mais on gratte-gratte, on pianote sur des écrans tactiles aussi, où se succèdent tiercés et autres quintés. Chaque joueur se trouve néanmoins livré à lui-même. On se lève de table, on quitte le bar, on bouge puis on se rassoit, au même endroit. Fi de la différence entre femmes et hommes, on est du café, on fait partie d'une famille. Un sous-produit de la fraternité, facile à donner, à perdre. La bière, le tabagisme, comme liens indé­fectibles en somme. "Si t'as l'gosier qu'une armure d'acier matelasse, goûte à ce velours, ce petit bleu lourd de menaces. " Ibidem.
Ce qui se passe dans la société, peine à avoir droit de citer. Une résistance qui répond à celle des autres. Enfin, vient le bar où s'y accoudent toujours les mêmes. Sur le zinc, ils viennent tromper : solitude, ennui, angoisse, vague à l'âme. Et puis, Julie est arrivée. "Que je boive à fond  l'eau de toutes les fontaines Wallace, si, dès aujourd'hui, tu n'es pas séduit par la grâce. De cette jolie fée qui, d'un bouge, a fait un palace. Avec ses appas, du haut jusqu'en pas, bien en place..." Ibidem.
Un rai de lumière s'est instillé derrière le bar ! Toujours à frotter, briquer, lustrer, nettoyer, Julie jette toujours un regard aux interlocuteurs qui se pressent. Mais, où est passé Omar, le boss ? Il déambule entre les tables, serre des mains, distille quelques conseils avisés. Le bar des Chaprais est un lieu de rencontres, entre des gens qui ne se rencontrent pas. "Dans un coin pourri, du pauvre Paris, sur une place... " Ibidem !
Étienne