Les-paysans-Balzac"On entendait le bruit mat des pommes de terre versées dans les chariots... Par endroits, on labourait encore en vue de l'ensemencement... Des troupeaux de vaches marquetées paissaient dans les jachères... Plus loin, des oies ressemblaient à des plaques de neige sur les prés râpés et roussis... Quelque part, une vache meuglait... Des feux brillaient, et de longues tresses de fumées azurées s'étiraient au-dessus des terres... Un char gémissait, ou une charrue grinçait contre une pierre... puis le silence enveloppait de nouveau la campagne pour un instant, au point qu'on pouvait entendre le clapotis sourd de la rivière et le ronflement du moulin caché derrière le village, dans un bouquet touffu d'arbres jaunis... Puis, de nouveau, un chant rompait le silence, ou un cri parti on ne sait d'où s'élançait à ras de sol, se traînait au creux des sillons, et se perdait sans écho dans la grisaille automnale, sur les éteules tendues de toiles d'araignée argentées, sur les routes vides et songeuses, au-dessus desquelles s'inclinaient les lourdes têtes sanglantes des sorbiers... Ailleurs on hersait les champs, et un tourbillon de poussière grise, séculaire, jaillissait derrière la herse, s'allongeait et rampait à flanc de colline, puis retombait, et l'on en voyait émerger, comme d'un nuage, un paysan, tête nue, cheminait lentement, puisait du grain dans la toile et semait d'un geste monotone et pieux qui bénissait la terre."            Les paysans L. Reymont
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Horizons-lointains1La disparition d'un de mes amis d'enfance, dit de chez La Gouapotte, voilà une chose à laquelle je ne m'attendais pas d'assister, en cette fin d'année 2017. Lui non plus, d'ailleurs. Celui-ci vient de quitter cette bonne vieille terre, qu'il a retournée plus souvent qu'à son tour, comme il vivait. Sans faire de bruit. Sur la pointe des pieds, "pour ne pas déranger les gens". Ainsi que Brassens le chante : "Pauvre Martin, pauvre misère !"
Cet ami n'a vu du monde que ce que la télévision lui en aura donné à voir, peu et beaucoup à la fois ! L'impuissance, sous-jacente à ses propos, n'est d'ailleurs pas étrangère au fait que celui-ci ait été tourné vers le passé, plutôt qu'en direction de l'avenir, à l'instar de son père. Sans être le plus vieux du village, mon ami n'en était pas moins une des mémoires les plus vivaces. Il m'a beaucoup aidé lors de la rédaction de mes souvenirs d'enfance. En me prêtant les photos que nous n'avions pas, au sein de notre famille. Puis, en y ajoutant toujours quelques anecdotes, voire des commentaires, que parfois il n'avait qu'entendues. J'appris que Victorin, notre arrière grand-père, était "passé" par Montot, avant que d'arriver chez les Vernier. Là où la plupart d'entre nous sommes nés. Dès qu'il s'agissait d'un autre, mon ami ne s'étonnait de rien, quelle que soit la prouesse. Mais, qu'il s'agisse de lui et il devenait immédiatement pessimiste. L'autodérision, comme expression de son extrême modestie. Un maître mot qui le caractérisait de même.
Suite au primaire, il n'aurait pas voulu partir, devoir quitter son village natal, comme bon nombre d'entre nous furent contraints de le faire. Mais, il ne se montrait aucunement surpris de la réussite de ceux qui s'exilèrent. Peut-être est-ce ainsi, par délégation, qu'il "vivait" les rares plaisirs que sa timidité le contraignait à refouler. Au bal, je ne le vis jamais ne serait-ce qu'inviter une fille à danser. Alors qu'il n'aurait pas voulu manquer ces quelques rares moments, où le principe de plaisir présidait à tout.
Peu avare de quelques bons mots, ce garçon aimait la compagnie de ses semblables. Pourvu que nous ne lui demandions pas de s'impliquer personnellement. Il me faisait penser à "ces ouvriers de la dernière heure", aussi bien rétribués que ceux de la première. Sans se presser, il était de tous les bons coups !
Il aura fréquenté régulièrement l'église jusqu'au bout. Mais à quoi croyait-il ? Bien malin qui pourrait le dire. Avant tout, c'était un sceptique en beaucoup de domaines.
Il avait fini par "se mettre" à la chasse. Sous l'influence d'un de mes cousins, peut-être. À moins qu'il n'ait voulu profiter de la compagnie de son chien ? Ou les deux à la fois !Chazot-au-couché-du-soleil
Son plus grand voyage, il l'aura fait sous couvert de l'armée jusqu'à Madagascar, me rappelait un de mes frères, son conscrit. Comme bon nombre d'entre nous, d'ailleurs.
À défaut d'aimer philosophiquement la vie, ce camarade était de ceux pour qui "il faisait néanmoins bon vivre". Se réjouissant de tout, il pouvait sans nul doute apparaitre n'être véritablement satisfait de rien !
"Requiem, pour un paysan espagnol" est expressément le litre d'un roman auquel cette vie d'agriculteur anonyme me fait le plus penser. "Ce brave paysan"* était le meilleur des hommes. Ceux qu'on dit fait "d'une bonne pâte d'homme !". Trop, sans doute, pour ce qui est d'être capable d'attirer une femme dans ses rets ! À une époque, il est vrai, où épouser un paysan en rebutait plus d'une. Quoi qu'il en soit, mon ami chérissait la campagne, l'agriculture. Auto-satisfait, il aimait sa famille, sa maison, son village, sa région... par fidélité à ses ancêtres. Puis, parce qu'il n'aura connu que cela. C'est ainsi que s'exprimait son allégeance à tout ce qui ne relève que du quotidien. Son conservatisme. Il sera parti sans crier gare ! Et a fini de souffrir. C'est déjà ça ! Adieu
Étienne.

*Dixit Fernand Raynaud

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