La liberté et la mortLa-liberte-et-la-mort
"Les femmes qui s'occupaient de poules, de coqs et de lapins, considéraient le couple avec inquiétude.
- Elle est trop maigre, la mariée, elle n'a pas de poitrine, elle n'aura jamais de lait !
- Ne t'en fais pas, va, elle en aura. Tu te rappelles, l'année dernière, ma chèvre Mavrouka ? Elle n'avait que la peau et les os, on ne voyait même pas ses pis, pourtant elle a été prise, elle a mis bas, et tu ne me croiras pas... elle donnait une oke de lait à chaque traite.
- Mais elle n'a pas de hanches ! Où se logera l'enfant ?" Disait une autre.
Et sa voisine la rassurait : "Ne te fais pas de mauvais sang, elle va élargir, Quand les filles se marient, elles élargissent."
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celui-qui-doit-mourirNikos Kazantzaki fait partie des rares auteurs que j'emporterais sur une ile déserte. Ceux, peu nombreux, dont j'eus le désir de tout lire. Encore que, plus j'avance dans l'âge, et plus la liste de ceux-ci ne s'allonge. Tous les héros de cet auteur paraissent n'être, au fond, que des substitus du père. A condition qu'on le veuille. La liberté à laquelle Nikos aspire et fait référence est double.
De prime abord toujours individuelle, intérieure, inconsciente. Elle s'inscrit néanmoins dans un cadre plus général.
Il ressort qu'il faille se battre pour être libre, pour vivre.
Tandis que la femme représente l'unique source d'inspiration des mâles, cette liberté, ne se conjugue paradoxalement qu'au masculin ! Nous sommes loin de l'égalitarisme qui nie toutes différences. Quant aux enfants, il leur suffira d'attendre leur tour, qui ne manque pas de venir !
Alors qu'aujourd'hui on leur accorde ipso facto le statut d'adulte. Jusqu'aux animaux qui s'humanisent, de plus en plus.
Dans La liberté ou la mort le passionnel le dispute sans cesse au réel. Ce qui rend cet ouvrage peu ou pro nostalgique, romantique à souhait. C'est de la même veine qu'Yachar Kemal. Deux romanciers chez qui la tradition n'en finit pas de mourir. Le tout mêlé à quelques traits de modernisme bien sentis. Dans ce roman le lecteur ne tombe jamais dans la banalité, la facilité, ni le vulgaire.
Tout est hautement traité. Ainsi, l'approche d'un imminent orage, alourdit l'ambiance déjà sourde de multiples imprécations. A l'instar d'un fond d'écran.
Pour Kazantzaki la vie n'est que passion, à l'image de la vie du Christ. On est immédiatement prit. Un climat de tension transite sans coup férir de L'auteur au lecteur. La répétition incessante des menaces ajoute à la gravité à la situation. L'auteur est tourmenté, hanté, obsédé. Tandis que l'intrusion des grandes puissances n'apparait qu'à la moitié du roman.
Parce qu'elle est fantastique, la littérature de Kazantzaki ne date pas. Omniprésente, la question religieuse demeure cependant sous-jacente à tout. L'attaque du quartier juif nous rappelle les pogromes, dont ceux-ci furent victimes.
"Asiatique" sur la forme, ce roman est peuplé de "beys", "d'Agas", comme ceux d'Yachard Kemal. De même dans ceux de Ramon Sender, auxquels ce roman m'a fait penser. On y trouve au surplus l'ambivalence des sentiments, toujours introspectifs. Plus puissant que Zorba le grec, sans ambages, toute action doit rageusement aller au bout. Comme dans un rêve. Alors que ça ne se passe pas systématiquement ainsi dans la vie réelle.
L'auteur nous enlace d'emblée. Tous les personnages vivent une tragédie en surimpression à leur quotidien. Ce d'autant que la question nationale chevauche sans cesse celle de la religion. C'est ainsi que le dimanche est synonyme de trêve, dans la lutte entre la chair et l'esprit. Entre le réel et le mystique. Entre deux, comme entre deux parents. Toujours en demeure de devoir choisir entre une hypothétique mission divine ou la nécessité ! Transcender le divin, en somme, voilà pour le sublime. L'humain c'est le réel, en rapport au principe de plaisir, duquel on ne peut s'échapper. C'est la même ambiance dans tous les romans de Nikos, qui n'en font plus qu'un seul. On chante, on danse. Ce ne sont que petites scénettes qui se succèdent. Le problème qui demeure : la sublimation.
Héros de La liberté et la mort, Michel est le sosie de Zorba, héros du roman éponyme. Tout est calme, entre deux piques de tension la vie suit son court, reprend son souffle. Mais le vengeur attend son heure.
"Quelle folie que de vouloir sauver le monde !" : nous concède enfin l'auteur, las de s'échiner en vain.
Étienne

Tourterelle-ma-tourterelleMeurtre-au-marche-des-forgerons