Bon dieu de bon dieu !

"Un enfant de Dieu
— Maintenant qu'il va à l'école tous les jours, il n'y a aucune raison de ne pas l'envoyer à l'école du dimanche et à l'église, dit le Révérend Mr. Hunter en caressant sa longue barbe noire passepoilée d'argent ici et là. Nous ne devons pas le laisser grandir comme un païen. Plus tôt il apprendra ce qui concerne la paix de son âme, mieux ce sera, Mrs. Casside. Il peut rester tranquillement assis et écouter le professeur ou chanter les hymnes avec les autres...
Il posa sa main rondouillarde sur la tête du garçon et tapota le bandeau...
—  Tu dois faire ce que Dieu désire que tu fasses, John, dit-il, si tu souhaites que Dieu guérisse tes yeux malades et t'aide à supporter la souffrance qu'il choisit de nous envoyer parfois. Souviens-toi de la petite couronne d'or que Dieu garde en lieu sûr pour les petits garçons qui endurent patiemment la douleur et qui accomplissent Sa volonté de bon cœur. Cela te plairait d'aller à l'école du dimanche et à l'église avec les autres petits garçons pour prier le Seigneur et chanter Ses louanges, n'est-ce pas ? Et la main potelée tapota à nouveau le pansement. La tête bandée s'inclina lentement sur la poitrine du garçon, mais il ne répondit rien.
— Bien sûr qu'il aimerait y aller, dit sa mère.
— Oh ! Laissez le garçon répondre lui-même, Mrs. Casside. Cela ne te plairait-il pas d'aller à l'école du dimanche et à l'église, John ?
Ils restèrent tous les trois immobiles et silencieux, à attendre.
— Dis oui au Révérend Mr. Hunter, dit sa mère...
Cela ne te plairait-il pas d'aller à l'école du dimanche et à l'église ? demanda-t-il pour la troisième et dernière fois.
—  Je n'ai pas envie d'aller à l'école du dimanche ni à l'église, murmura le garçon.
—  Tu ne devrais pas dire cela, Johnny, dit sa mère. Tu sais très bien que tu aimes l'église et l'école du dimanche.
—  Pourquoi cela ne te plaît-il pas d'aller à l'école du dimanche et à l'église, demanda l'homme ministre de Dieu. Allons, réponds, Johnny, et souviens-toi que Dieu t'écoute.
Le garçon leva la tête et, de son œil non bandé, regarda le visage ordinaire et froid de l'homme, à demi caché par la barbe noire et le chapeau d'ecclésiastique, mou, rond, à larges bords, qu'il portait.
—  Le docteur a dit que je devais me fatiguer les yeux le moins possible, et ça ne me dit rien d'aller à l'église et à l'école du dimanche.
—  Eh bien ! eh bien ! dit l'homme ministre de Dieu, ni l'église ni l'école du dimanche ne peuvent faire de mal à tes yeux et tu ne peux guère t'attendre à ce que Dieu aide le docteur à les guérir si tu ne sanctifies pas le Jour du Sabbat ; adorer Dieu, le remercier et mettre ta confiance en Lui. 
—  Oui, dit brusquement le garçon, parce que leur père est pasteur et qu'ils ne peuvent y échapper !
—  Il sera à l'école du dimanche et à l'église dès dimanche prochain, dit précipitamment la femme, car, quoi qu'il arrive, il ne doit pas être à la traîne de sa propre religion.
—  En tout cas, cela l'empêchera du moins de traîner dans les rues, dit l'homme ministre de Dieu. Maintenant, agenouillons-nous tous les trois et rendons grâce à notre Père céleste avant que je m'en aille." Sean O'Casey.

La discussion, ci-dessus, aurait très bien pu avoir eu lieu chez moi, à quelques différences près toutefois. L'église n'ayant plus en France le quasi monopole de tout ce qui touchait au social, depuis l'après Seconde Guerre Mondiale; ainsi qu'à l'éducation depuis l'école de Jules Ferry, dirons-nous. Contrairement à l'Irlande de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle, préciserons-nous par comparaison. Qui en faisait le plus bel exemple de l'arriération que peut donner la mainmise de l'obscurantisme sur les consciences des petites gens.
Un certain retard persistait, toutefois, dans la tête de nos parents, pour lesquels études secondaires rimaient avec institutions privées, autrement dit catholiques. C'est ainsi que tout ce qui touchait à l'école publique, à l'usine, aux armées ainsi qu'à la vie dans les villes n'avait pas bonne presse à leurs yeux, en pleine "guerre des crucifix à l'école". Autant de lieux de perdition !
Bien que rarissime déjà dans ma contrée au cours des années 50, il existait encore un curé qui organisait ses propres kermesses. Et, c'est nous qui en avions hérité ! Cette activité ne lui survivra pas, son successeur lui préférant le théâtre. C'est ainsi que je fis mes premiers débuts sur la scène publique.
Ceci pour dire qu'entre les curés footballeur, plongeur comme l'abbé Simon, animateur et autre organisateur de colonies de vacances, auxquels s'ajouteront les prêtres ouvriers, l'institution église maintint longtemps une présence concurrente à celle de l'État laïc. Compétition à laquelle s'ajoutait celle des bonnes sœurs à l'hôpital, au sein des hospices ainsi que dans les centres dit de redressement pour filles. Autant de liens à travers lesquels ce corps constitué et parasite tentera de survivre à l'usure du temps. Faute de personnel, dirons-nous, les églises se vident aujourd'hui. Sans que l'idée religieuse ne tende à disparaitre pour autant. Le mysticisme trouve sa source ailleurs qu'en un dieu unique, bien longtemps avant son apparition au surplus. 
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