Nous n'avons que nos chaînes à perdre ! (Marx)

"L'article ci-dessous a paru pour la première fois en allemand dans la Neue Zeit (15 septembre 1908), à l'occasion du 8oe anniversaire de la naissance de Tolstoï.
Tolstoï fête son 80e anniversaire, et il nous apparaît aujourd'hui tel un vieux rocher couvert de mousse, homme d'une époque périmée.
Chose étrange ! Non seulement Karl Marx, mais même — pour prendre un exemple tiré d'un domaine familier à Tolstoï — Henri Heine semblent vivre encore aujourd'hui parmi nous. Déjà, le torrent infranchissable du temps nous sépare actuellement de notre grand contemporain d'Iasnaïa-Poliana. Tolstoï était âgé de 33 ans lorsque le servage fut supprimé en Russie. Il avait grandi et s'était développé comme le descendant de "dix générations que le travail n'a pas matées", dans l'atmosphère de la vieille noblesse rurale russe, avec son cachet grand-seigneurial, au milieu des champs hérités de père en fils, dans la vaste maison féodale, à l'ombre paisible des belles allées de tilleuls. Les traditions de la noblesse rurale, son caractère romantique, sa poésie, tout le style de sa vie enfin, Tolstoï se l'était assimilé à tel point qu'il devint partie intégrante, organique, de sa personnalité. Aristocrate il était au moment de l'éveil de sa conscience, aristocrate jusqu'au bout des ongles il est resté aujourd'hui, aux sources les plus profondes de son travail créateur, malgré toute l'évolution ultérieure de son esprit. TOLSTOÏ  ARISTOCRATE
Dans le château seigneurial des princes Volkonsky, qui passa ensuite à la famille des Tolstoï, le poète de la Guerre et la Paix habite une chambre très simplement meublée. Au mur est suspendue une scie et, dans le coin, posées contre le mur, il y a une faux et une hache de charpentier. À l'étage supérieur, tels des gardiens figés des vieilles traditions, sont suspendus les portraits de toute une série de générations d'ancêtres. Quel symbole ! Dans l'âme du maître de la maison, nous trouvons également ces deux étages superposés, dans l'ordre inverse. Tandis que, dans les régions supérieures de la conscience, la philosophie de la simplicité et de la fusion avec le peuple a bâti son nid, d'en bas, là où plongent les racines des sentiments, des passions et de la volonté, nous saluent toute une longue galerie d'ancêtres féodaux.
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Nous pourrions tout à fait et encore nous passer d'évoquer l'actualité, secouée une fois de plus par ce que les médias appelle la crise grecque, ou de la zone €. Pour ne pas dire la crise de leur système générateur de crises, de famines, de guerres etc. Aux fins, sait-on jamais, de ne pas griller leurs carrières politiques personnelles, d'une part, et de se faire plébisciter, d'autre part, les messires "Hollande" à la grecque (ou Papandréou à la française), ont décidé secrètement apparemment de proposer un référendum à leurs électeurs. Histoire de donner une illusion de  légitimité démocratique grecque, aux directives européennes.
Sitôt emparé de la nouvelle, les marchés bousiers n'ont rien de plus pressé que de faire pression sur tous les gouvernements de la zone €. Et ceux-ci font comme s'ils étaient pris à la gorge. Toujours est-il que le tam tam médiatique est en marche, avec ses effets amplificateurs. Afin, n'en doutons pas, de dramatiser les choses et au besoin de pouvoir nous imposer d'autres plans d'austérité, cran après cran.
À propos de faillite justement, il y a belle lurette que le système capitaliste l'est. Puisqu'il ne vit qu'à crédit ! Supprimez-les et tous les rouages économiques se mettent à grincer. Seule une confiance illimitée dans la capacité de leurs États à faire encore et toujours rentrer les impôts, fait que nous ne nous retrouvons pas encore dans la situation de l'Allemagne des années 1920 à 30. Tels aussi ces personnages de "Tex Avery" qui ne chutent qu'à partir du moment où ils prennent conscience du vide qui se trouve en dessous d'eux.
Le but du référendum, enfin, pourrait bien être aussi d'espérer pouvoir détourner la colère des Grecs de la rue, là où ils ont choisi de la manifester avec fracas pour l'instant. Sarkozy et Merkel ont l'air con avec leurs sommets à prix d'or etc. Mais, que ceci ne nous éloigne pas trop de la ligne que nous nous sommes fixés jusqu'ici. À savoir, nous préparer pour pire encore que ce que nous entendons et voyons. Avec la secrète et nécessaire ambition de faire en sorte d'annihiler tous les fauteurs de crises et leur système capitaliste avec. "La guerre de sécession n'a pas cessé, c'est sûr !"
Ceci écrit, nous poursuivrons quelques jours encore avec notre Trotsky critique d'art en général et littéraire en particulier. La Guerre et la Paix de Léon Tolstoï est un des romans les plus passionnants qui soient. Davantage que ne sont 3. de notre Victor Hugo national, auquel le traducteur le compare. Or, la critique qu'en fait Trotsky élève encore le niveau de lecture que tout lecteur moyen en fait. Intellectuel hors-pair, Trotsky connaissait encore mieux la Russie, l'Europe et le reste du monde que Tolstoï. Lequel n'était déjà pas le premier venu non plus. Mais tous les deux ne chaussèrent pas les mêmes lunettes de classe, dirons-nous. Tourné résolument vers l'avenir, Trotsky ne mesurait pas le passé aux mêmes aunes que le bon vieux Tolstoï qui, lui, en était nostalgique bien que critique sous certains aspects. Politiquement opposé au servage, Tolstoï en était encore au niveau de la Grande Révolution Française. Tandis que Trotsky, en 1908, surfe sur les vagues que la révolution bourgeoise de 1905 en Russie avait soulevées. Trotsky anticipe déjà février et octobre 1917, tandis que Tolstoï, reclus, en aurait été le premier surpris, s'il avait vécu jusque-là.
Vive la marche en avant de l'histoire !