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Au rive gauche
11 mars 2013

"Je n'aurai pas le temps, pas le temps !"

(Michel Fugain)

PréfaceKlein
Le temps est un feu qui me dévore.
Mais je suis le feu. (JL Borges)
Notre expérience primordiale nous fait éprouver la sensation d'un temps sans lequel notre existence n'aurait ni texture ni vécu, et auquel nous avons le sentiment d'être inéluctablement soumis. Irrécusable est notre expérience d'un temps tyrannique qui nous porte jusqu'à la mort. C'est sans doute pourquoi les hommes ont toujours tenté, sans grand succès d'ailleurs, d'élaborer un discours cohérent sur le temps. Il n'y a qu'à voir la place énorme, et unique, que ce dernier occupe dans la littérature, dans l'art, dans la chanson de toutes les époques. Et il intervient dans de si nombreuses expressions du langage courant qu'il fait bel et bien partie, pensons-nous, de nos concepts familiers. Le temps est de ces êtres quasi domestiques que nous croyons pouvoir apprivoiser. Chacun comprend de quoi on parle quand on parle du temps, sans qu'on le désigne davantage. Cela devrait suffire à résoudre une bonne fois pour toutes le problème qu'il pose, d'une façon claire et distincte. Mais il faut prendre garde au fait que les concepts usuels sont souvent les plus mystérieux. Cela est particulièrement vrai du temps. Chacun sent bien que, sous ses allures familières et son innocence, il n'est pas une chose comme les autres, et qu'on n'en finira jamais de l'interroger. Saurions-nous seulement définir le temps autrement que par des métaphores de lui-même ? Telle celle, tant rebattue depuis l'empereur philosophe Marc Aurèle (121-180), du "fleuve qui coule et que formeraient les événements" ?
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atelier>> INTITULE de l'Atelier d'écriture Édouard Droz du 8 mars 2013

"Je n'ai pas eu le temps"
T
elle est le leitmotiv de toute personne qui de mauvaise foi tient à justifier un manque quelconque.
C’est fou le nombre d’allusions qui sont faites à ce putain de temps, laquelle durée nous filerait entre les doigts, dit-on. "Du temps, ce grand sculpteur" de Yourcenar, "Ô temps, suspends ton vol" de Lamartine, en passant par : "Laissez-moi le temps qu’il faut et je vous mets mille fois de suite dans le mille" de je ne sais plus qui. Jusqu’"au temps qu’il veut faire", de ma mère. Et pour terminer enfin cette expression populaire qui voudrait que soumis à un emploi du temps, ou non : "on prendra toujours le temps de mourir". Amen !
Et si le temps n’existait pas, à l’instar de dieu ? Eh bien, il faudrait les inventer !


À lire aussi, la contribution de Floriane,

la contribution_de Mickael,
la contribution_de Sophiela contribution_Isabelle

L'horloger-de
La contribution d'Étienne

Ma foi en l’avenir, ou dans "les autres", devrais-je dire, est le fruit indirect de la foi religieuse de ma mère. Un optimisme qui m’est relativement chevillé au corps. Et, à la source de quelques ennuis qui n’ont pas manqué de m’arriver tout au long de mon existence. Petit, chez moi, le temps se découpait en fonction des saisons, des travaux inhérents à ces périodes et non pas en fonction des vacances scolaires, à l’instar de mes petits-enfants,Aitmatov aujourd’hui. C’est au catéchisme que je pris conscience de l’hypothétique immensité du temps, de son éternité pour parler comme le curé. Et non pas à l’école primaire, où l’on nous parlait peu de l’infini. Une notion plus réaliste que je ne découvris que plus tardivement.
La course contre le temps était le propre de la vie d’un agriculteur tel que mon père. Il y avait, d’une part, le boulot à faire puis, d’autre part, le temps qu’il ferait. Toujours capricieux et peu prévisible à l’époque. Les prédictions météorologiques familiales étaient l’objet de multiples désaccords entre mon père et ma mère. Bien que leurs sources étaient ailleurs. Les prétextes ont, au fond, l’insigne avantage de donner la possibilité aux différents partenaires d’exister, sans se livrer plus à fond. Fallait-il aller faucher ou non, telle était la question? Le temps, au sens du temps qu’il "veut" faire, parasitera l’existence de ma mère. Laquelle avait une peur phobique des orages. Elle craignait les incendies que la foudre provoquait en passant à travers des circuits électriques défectueux. Stressée dès qu’il tonnait, notre mère exigeait que nous nous relevions la nuit en plein sommeil. Nous nous réunissions dans la seule pièce borgne de la maison et récitions des rosaires à en tomber d’inanition. Je crois pouvoir dire que le temps ne m’a jamais paru aussi long, qu’au cours de ces séances, proches de la torture.
Dans la vie de tout paysan, il était des temps plus forts que d’autres. Ceux des fenaisons et des moissons qui occupaient tout l’été, du ramassage des pommes de terre et des betteraves à l’automne, de la cueillette des cerises au printemps, celui du bois en hiver et de la communion solennelle comme un prélude au mariage, enfin. Plongé très rapidement dans la dure réalité du travail, le Herberto-Salestemps eut la fâcheuse manie de ne pas passer assez vite. Petit, les champs me paraissaient immenses, à perte de vue. Les jours de battages de la moisson s’étiraient sans fin. Il arrivait, de temps à autre, qu’une coupure de courant nous libère de l’une ou l’autre corvée. Bref, mon enfance n’en finissait pas de ne pas passer.
Mon difficile combat contre l’autorité paternelle rajoutait une dimension symbolique aux difficultés qui étaient déjà légion, ainsi qu’aux coups de pieds aux fesses. Mais ça, je ne le compris que longtemps après. Puis soudainement tout s’accéléra, la porte de ma "prison paternelle" s’entrouvrit. Une ouverture que je dus à mes frères aînés, lesquels n’étaient pas dupes des difficultés qui étaient les miennes. Je leur serai toujours reconnaissant de cet allègement des charges. Encore que je n’eus rien de plus pressé que de procéder de manière identique à celui que je vilipendai durant tout mon adolescence.
La capitale de l’horlogerie me tendit les bras. Encore que ce soit dans le bâtiment, puis dans le textile, que j’occupai un temps certain à gagner ma vie. Non content de cela, je trouvai l’énergie et le temps de lutter, puis de me former en conséquence. Une simple transposition du dévouement de mon paternel, auquel j’assistai tout au long de mon enfance.
Par exemple : j’ai toujours vu mon père se lever très tôt et je fais de même maintenant. Tandis que le temps ne m’est plus compté, ni disputé.
Pour conclure sur une note optimiste : "Le temps des cerises" est certainement l’un des chants révolutionnaires qui allie à la fois : l’éveil des sentiments et autres amours printaniers, tout en rendant hommage au sang des ouvriers parisiens, en lutte pour des temps meilleurs. Mais, nous dit le poète : "avec le temps tout va, avec le temps tout va, tout s’en va…" !
C’est ainsi que je conclus l’homélie que j’avais écrite en hommage à mon frère ainé décédé, sans que je ne puisse la lire.

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