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Au rive gauche
15 mars 2013

Et vous, nous la conterez-vous belle ?

atelier>> INTITULE de l'Atelier d'écriture Édouard Droz du 8 février 2013

À propos de l'histoire
Le monde bien pensant admet qu'il y aurait "la grande" (celle d'en haut, des grands), par opposition à "la petite" (celle d'en bas, des petits).

Par extension nous admettrons que dans le langage courant "les meilleures histoires, soient aussi les plus courtes". A l'instar "des mauvaises : belges ou suisses", ou bien encore de "celles qui sont à dormir debout", voire "qu'on raconte aux enfants, afin de les endormir". Sans oublier «les histoires d'amour» qui pour rester belles, ne doivent pas durer. Et puis, il y a "les gens à histoires". Et enfin le récurent "tu ne connais pas la meilleure... ?" Là, je me méfie et je zappe ! Sans oublier la formule des plus pessimistes : "tout ça, c'est des histoires".

Toujours est-il que quelqu'un a dit : "lorsque j'entends le mot «histoire», je sors mon revolver" !  Et vous, nous la conterez-vous belle ?


À lire aussi, la contribution_d'Isabelle

Emile-Ajar>> CONTRIBUTION de Patrick S.
J’aimerais vous la conter bien belle.
Stop ! Est-ce que je désire vraiment vous la conter belle, cette histoire ?
Pas si sûr !

Allez, admettons que je souhaite vous faire plaisir ! C’est mon plus grand défaut, côté tares positives : ne demander que ça : faire plaisir.
Il existe plusieurs manières de faire plaisir. La première d’entre elles consiste à faire rêver. En ce qui me concerne, si je veux vous faire rêver, je dois vous faire croire.

Vous faire croire que je suis heureux, que j’ai sauvé des malheureux, fait fuir ou éliminé des salauds, des pervers, des profiteurs. Vous faire croire aussi que je suis le meilleur des amis, des amoureux, des maris, intello le temps qu’il faut, bricoleur efficace et silencieux l’autre temps qu’il faut, ambitieux mais disponible, adulé pour ma générosité. Suis-je crédible ? Pas même à mes propres oreilles ! J’évoque un moi de rêve. Alors que je n’en rêve même pas ! J’en suis revenu. Du rêve, je veux dire ! Je renonce à vous faire croire.

Me reste la possibilité de me mettre en scène. Un peu comme les vedettes choyées par nos médias, qui nous racontent souvent des histoires souvent sans originalité. Comme elles sont reconnues pour cause d’origine, on s’interroge souvent sur l’opinion supposée de notre voisin avant de descendre un sketch qui se paie notre tête à tous parce que notre paye ne nous permet pas de faire une autre tête que celle qu’ils se paient. N’étant pas, de toute façon, du bon côté des médias, je me résigne à raconter sur la scène des réalités ma propre histoire. Plus question alors de vous faire plaisir, croire ou rêver. Si ma mésaventure vous intéresse, même un peu, je pense qu’elle peut vous donner de la joie. Belle, elle ne l’est pas. La conter belle ? Je vais essayer de vous faire un conte un peu beau avec une histoire pas belle.

Je vis sur la même planète que vous. Je respire le même air que vous. J’absorbe la même potée cancérigène que vous. J’éduque mon fils d’après lesMarie-BAMARYmêmes schémas mentaux que vous. À peu de choses près. Auxquels je ne crois pas vraiment. Vous non plus, je crois…Voilà pour la grande histoire, celle dans laquelle se joue la mienne, la petite. Dans mon petit coin je me sens très heureux et très malheureux.
D’abord, ce qui aurait du être l’enfance. D’abord et plus tard aussi. Mes parents m’ont vu rongé par la jalousie, en face d’un petit frère aux cheveux blonds et bouclés comme ceux d’une petite fille, disait-on. Bien avant le « qu’en dira-t-on » sévit le « que dit-on de moi ? » Croyant peut-être bien faire, maman et papa ont voulu me consoler en me félicitant pour mes excellents résultats scolaires. Je suis devenu pour tous une tête. Pire : La tête. Ils ignoraient que je travaillais bien peu à l’école, que je m’y ennuyais comme un rat, en écoutant vaguement des cours qui essayaient peut-être de me parler d’un monde dont je n’avais pas le sentiment de faire partie. Forcément : a-t-on déjà vu se promener une tête sans pieds, sans jambes, sans tronc, sans tuyau pour pisser, puisque garçon j’étais, disait-on, pas blond bouclé, sans cerveau non plus d’ailleurs. D’ailleurs.

Parenthèse : dans la grande histoire, une tête, ça s’est vu, portée sur une pique, ou bien coincée dans un trou, attendant puisqu’il est trop tard la lame de la guillotine. Que peut-on bien faire d’une tête ? J’ignorais à l’époque l’ampleur de mon inanité, la flagrance de mon inutilité. Je ne savais pas que les micros mémoires informatiques font la nique à la Tête en quelques millièmes de secondes.

Tête donc, je suis resté. Je le suis resté. La suis restée. Jusqu’à la puberté. Cette période bouleverse les adolescents. Mon être entier n’était que tête. L’apparition de caractères d’un versant dont on sait seulement qu’il n’est pas l’autre m’a dévasté. Ce furent questions en boucle, pas bouclées. Vivant ou mort, il va falloir choisir, vieux jeunot ! Ne t’imagine pas que branlette en chiotte scolaire, ça fait un homme ! Fort ou faible, va falloir choisir (ça permet de faire plus tard comme si on avait choisi : c’est essentiel !) Chef de bande ou suiveur, va falloir te décider ! Dieu merci, quelques filles, des qui n’avaient encore passé que peu de carrefours et sens giratoires, me trouvaient curieux plutôt qu’égaré à contresens. Le-petit-vélo-beigeAinsi, sans avoir le moindre succès, ai-je été abordé de temps à autre temps par qui m’a invité à ne pas demeurer la Tête. Un peu de mystère, ça peut aider, à condition de n’en faire pas trop… étalage.
Est-ce que l’histoire se termine ici ? Sur un espoir ? J’essaie de vous le conter belle, pas de vous en conter une belle. La scène des réalités s’est vue occupée par davantage d’espoir, par davantage de désespoir aussi. Je n’ai jamais vécu mon enfance. Pas de rattrapage d’enfance. Des bêtises de l’enfance ? Peut-être ! De l’enfance, non ! Toujours en manque d’enfance, je fais fuir bien des adultes, les mal sortis de l’enfance. Les mal sortis de l’enfance font la guerre (comme ils ne savent plus jouer, ils la font sur la scène des réalités), imposent le bien parce qu’ils croient savoir ce qu’est le bien, deviennent chefs s’ils sont séducteurs de première classe (de première classe ? Un séducteur sans classe ne saurait se concevoir.) Des mal sortis de l’enfance dégoulinent d’épais discours de miel à sourire. Les mal sortis de l’enfance ne sont ni pires ni meilleurs que moi. Ils sont plus forts. Forts d’avoir connu ce qu’ils tiennent à quitter à toutes forces : il ne faudrait tout de même pas les prendre pour des rigolos !

J’ai su à quoi peut ressembler un enfant lorsque j’en ai eu un. On dit comme ça : en avoir un (ou plusieurs). Entre temps, j’ai mis longtemps à choisir, pendant mon adolescence. C’était moins une. C’est toujours moins une. Pour moi, je veux dire (pour plus un). J’ai rencontré une femme qui n’a pas mis beaucoup de temps pour me choisir. Je me suis demandé si elle ne m’avait pas choisi avant d’en avoir eu le temps. En réalité, c’est moi qui l’ai choisie. En réalité. En vérité, il paraît qu’elles savent faire croire qu’on les choisit quand elles nous choisissent. Je m’en fous puisque je la crois. L’histoire ne se finit bien, donc ?
La mort veut me kidnapper celle par qui j’ai choisi de me laisser choisir. Histoire de cellules. Si la grande histoire se veut plus grande que la petite, la petite histoire se croit-elle plus grande que la micro histoire ? Cancer. La recherche avance ? La grande histoire préfère financer les guerres extérieures. Vous me direz que c’est une autre histoire. Une autre histoire. Ou que ça prend la tête.

Patrick  S.

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