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Au rive gauche
26 août 2012

Lectures d'été (1)

Robinson_crusoe_citationPréface de Michel Déon (membre de l'académie française) :
"Par 80° de longitude ouest et 30° de latitude sud, la carte de l'océan Pacifique identifie l'archipel Juan Fernandez composé de deux îles aux noms singuliers : l'une se nomme Alejandro Selkirk (un nom écossais hispanisé), l'autre Robinson Crusoé, plutôt anglais. Selkirk, après une querelle avec son capitaine, à la schlague avait préféré être abandonné sur une île déserte où il séjourna quatre ans avant qu'on revînt le rapatrier. L'autre île porte le nom d'un personnage de Daniel Defoe qui, depuis trois siècles, occupe notre imaginaire.
Que des mers, des détroits, des archipels perpétuent les noms de ceux qui les ont découverts est assez fréquent, mais qu'une fiction soit assez forte pour s'implanter dans le réel est, tout de même, un cas rarissime. La force - j'allais presque dire l'envoûtement - du roman de Daniel Defoe tient à ce qu'il fascine tous les âges et nous accompagne une vie entière sans que se perde le rêve misanthropique d'y replonger pour nous réfugier dans l'île déserte qu'il a si merveilleusement imaginée.
À dix ans, on ne lit pas les livres, on les vit. Les Aventures de Robinson Crusoé ont nourri beaucoup de rêves de mon enfance. Les ayant plusieurs fois relues au cours d'une longue vie, à chaque occasion, pour la totalité ou quelques pages mémorables, je leur ai découvert sans cesse de nouvelles grâces : une leçon de morale, une leçon de choses, une leçon sur le si fragile destin de l'homme seul menaçant la nature ou menacé par elle. Écrite aujourd'hui, l'aventure de Robinson serait sûrement l'histoire d'un astronaute miraculeusement sain et sauf sur une planète où son aéronef s'est écrasé. La carte du ciel ne mentionne pas cette planète qui a pourtant quelques ressources vitales pour un Terrien désormais seul dans le firmament. Plus modeste, Robinson se contente d'une île déserte, pas un gros caillou dans le ciel, mais une île chérie par la nature qu'il nomme, ingratement, "île de la Désolation".
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jeremiah_johnson_film1Édito
Nous tous, un jour, nous sommes jurés de lire davantage pendant nos vacances. Ne serait-ce que pour les rendre moins stériles ou aussi peu vaines que possible.
Ainsi nous découvrons - ou redécouvrons pour ce qui est du livre cité en référence - des auteurs dont la vox populi a stérilisé la mémoire. Je re-relus pour la xième fois Robinson Crusoé, un des rares romans que je dus tenir dans mes mains au cours deTournier_livre ma scolarité primaire. Des images d'Épinal circulaient en grand nombre à son sujet, telle celle où on le voyait indéfiniment avec son ombrelle, artisanalement bricolée, flanqué de son Vendredi. Considérée à tort comme une histoire pour enfants, force m'est de reconnaître qu'une fois la lecture commencée, je ne le lâchai plus. Certes, les longues énumérations, explications, descriptions de tout ce que Robinson se fixe comme tâches paraissent parfois quelque peu fastidieuse à lire.
Au bout d'un certain temps, le mythe du bon sauvage ne résiste plus à la dure réalité, ni au combat que cet homme civilisé mène contre l'anéantissement "naturel" qui lui est promis.
Bref, dès lors que Robinson fut rejeté par les flots sur une île inconnue, celui-ci peine à s'installer dans un abri provisoire. Il organise en premier lieu un système pour mesurer le temps et dresse - dans l'angoisse de sa situation et l'incertitude du sort qui l'attend - un véritable bilan de "l'état de ses affaires". Présenté sous forme de tableau, ce compte-rendu de l'actif et du passif "libère" l'esprit de notre bon Robinson des angoisses que lui cause sa situation et empêche sa raison de sombrer.
Tout lui manque, le minimum du minimum dirons-nous. Le plus petit de ses travaux lui coûte un effort surhumain. C'est ainsi que la fabrication d'une barque, avec quelques outils de fortune non adaptés, lui prend des mois. Fier de son ouvrage, rempli d'espoir par l'idée qu'il pourra peut-être un jour quitter l'île, sur laquelle il se sent prisonnier, il s'aperçoit hélas qu'il ne pourra jamais la mettre à l'eau. Le sentiment d'avoir consacré des mois à un labeur quotidien au-dessus de ses forces en vain le fait sombrer dans la dépression. Un sentiment contre lequel il lutte par ailleurs pied à pied en permanence. Souvent il m'arriva de me dire que nous (sujets civilisés) sommes très loin d'être conscients de ce que nous devons à la civilisation, à la sociétéPaix___Itaque_livre humaine, à ses techniques, à ses mœurs, à son éducation, à ses traditions, à son confort etc.
Philosophiquement, Robinson cogite énormément. Encore que ses réflexions sur sa situation se confondent allègrement avec une méditation proprement métaphysique au sujet de la condition humaine.
Rien d'étonnant à cela, car Defoe était journaliste, essayiste et enfin militant politique. C'est ainsi que condamné au pilori, il en fut retiré, parce que la population venait l'ovationner. Au grand dam des autorités ! Autant dire que je me sentis presque en famille à sa lecture.
Il n'est en revanche quasiment jamais question de sexualité, à moins que cela ne soit qu'indirectement abordé à l'instar de Narcisse. Et pour un lecteur averti seulement. Psychologiquement parlant, Robinson est quelqu'un qui cultive le rejet (celui de son auteur), toujours à la recherche de solutions individuelles. Extrêmement démuni, en revanche, il attend tout de l'arrivée d'autres humains. Car la nature, si chère à nos écologistes petits-bourgeois de gauche, n'est qu'hostile à l'homme. C'est seulement en la modifiant, par ses propres moyens, qu'elle lui devient hospitalière. Psychologiquement, le combat démoniaque du moi de Robinson n'est pas celui qu'on croit. L'espoir qu'il met en l'arrivée de ses semblables remet la question de l'autre, de sa place, dans ses préoccupations. De même qu'au centre des nôtres, si on se laisse prendre par la magie du récit.

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