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Au rive gauche
28 août 2012

"Que faisiez-vous au temps chaud ? Je chantais" (La Fontaine)

Lecture d'été (2)

R_gine_Crespin_citationExtrait des Mémoires de Régine Crespin :
Chapitre 1 - Mannolini -

"Mannolini ? Cela pourrait être le nom d'un général sous Garibaldi, d'un hussard sorti tout droit de chez Giono, d'un gondolier au chapeau noir enrubanné de couleurs vives, d'un vieil aristocrate italien - "Il conte Mannolini", cela ronflerait assez bien, non ? - ou encore celui d'un adulé, dodu castrat bien vocalisant de la chapelle Sixtine au temps de Rubini ou Rafarielli. Mannolini, c'était ma grand-mère. Elle chantait faux comme un fer à souder mais à tue-tête, tout le temps. C'est elle qui m'a fait aimer le chant. Je me souviens de ces soirées d'été où nous nous couchions comme les poules, avec le jour, dans ce grand lit haut et large où les nuits étaient torrides mais où je me sentais si bien, blottie contre elle qui me repoussait : "Oh ! Il fait trop chaud !" avec cette brusquerie tendre qui la caractérisait. La tendresse, chez les gens du Midi, on ne la montre guère sauf dans les grandes occasions : mariages, communions, enterrements et encore ! On pleure de joie ou de chagrin, on crie beaucoup quand arrivent les amis. Mais se donner un petit baiser dans le cou ou se prendre la main, pas question, on aurait "honte" ! En tout cas, Mannolini, elle était ainsi. Donc, nous étions juchées sur notre "grand bateau" qui n'était ivre que de jeux, de rires, de chansons et de fatigue saine, toutes fenêtres ouvertes sur une symphonie de toits de tuiles rouges au loin, de murs ocre, sur les gros platanes jaunis, les pins immuablement verts, les mûriers touffus, les lilas blancs ou pourpres, les eucalyptus raffinés, sur le jour finissant dans un ciel mauve et pur - il devait bien être huit heures et demie ! -, dans ce petit cabanon qu'elle louait pour toutes les vacances à la Bourdonnière, une banlieue de Marseille."
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Carmen_filmEdito : Il y a les livres que l'on a aimés, ceux qu'il fallait à tout prix lire, d'autres aussi que nous ne terminerons jamais puis, enfin, il est des ouvrages qui nous intéressèrent seulement. "À la scène, à la ville " de Régine Crespin fut l'un de ces derniers. Or, sans être trop exhaustif, voici quelques impressions qui me vinrent en le lisant. George_Sand_livreToutes favorisées par le fait que ses mémoires sont écrites sur le ton de la familiarité. Ainsi Régine apporte la preuve que toute vie, la plus modeste soit-elle, puisse être une aventure. Au sens où l'on ne peut savoir à l'avance ni ce qui va arriver, ni ce que l'on va choisir. Encore que beaucoup de choses soient inscrites dans notre histoire personnelle. Mais ça, c'est une autre affaire.
La vie de Régine est intéressante dans sa phase ascendante essentiellement, me suis-je dit. Tandis qu'elle me déçut dans la gestion de sa propre fin. Au sens où, après s'être élevée très haut, elle redescendit au niveau du quidam moyen. C'est ainsi que l'immortalité, sous diverses formes, la préoccupera tout autant que le premier inculte venu. Sans rien exagérer, Régine nous entraine dans un tourbillon de lieux, d'époques, de dates qui toutes se chevauchent, s'entremêlent, tel un turnover. Volontairement ou non, Régine met à mal l'ensemble du star-système avec ses coteries, ses mœurs, ses préjugés parfois. C'est pour avoir été "persona non grata" auprès des décideurs en France, qu'elle y demeura si peu connue. Néanmoins, la difficulté de réduire la distance entre les stars et leur public la préoccupera sa vie durant.
De la culture bourgeoise, en revanche, Régine n'en retint bien souvent qu'un certain folklore historique. Sa vision de l'histoire (conventionnelle et scolaire) ne dépassa jamais le contenu des œuvres dont sont tirés "ses opéras". Quant au lecteur, il ne retiendra de l'opéra que c'est surtout une performance vocale d'interprètes. Toutes et tous stakhanovistes des vocalises et des répétitions. Politiquement, Régine admira les personnalités en place, elle cite Pompidou, Chirac etc. Et ne dépassa jamais un anarchisme de droite.
Arrivé à ce stade, je me demandai ce qu'elle avait véritablement appris d'assez original et d'instructif pour nous en entretenir aussi longuement ? Berberova_livreCe, mis à part les quelques platitudes, en vogue à son époque, sur la liberté, la démocratie, le respect de l'autre, le bonheur bourgeois, au sujet de l'amour romanesque, de la culture et tutti quanti ! Guère plus au fond que le quidam moyen, que l'activité professionnelle n'incite pas à se cultiver. Au reste, que fit-elle de sa réussite personnelle et professionnelle, mis à part l'entretenir comme une forcenée, tout en aidant quelques-uns de ses pairs ? Peu de choses. Car, elle a beau faire, se démener comme un beau diable, on la sent éperdument seule. Telle Antigone.
Certes, elle pouvait toujours se dire qu'elle est arrivée là où rien ne la prédisposait. Encore qu'on puisse se demander où ? Au sens de ce que l'on peut ou doit lui envier objectivement. En effet, la vie "libérée" des stars préfigure-t-elle la liberté dont nous rêvons si, par nécessité, nous nous débarrassions du capitalisme et de son oppression ? Rien n'est moins certain ! Encore que le rythme que lui impose le fait de devoir se trouver ici et là, en très peu de temps, afin de répondre aux attentes tout autant qu'à des contraintes, l'amène à se surpasser toujours. Sa vie n'a rien de l'existence "pépère" du petit bourgeois moyen peu enviable, toujours content de lui ! Point de barrières linguistiques ni de frontières, pour Régine qui chanta dans la langue du pays où elle se produisait. En Argentine elle apprit l'espagnol, aux U.S.A l'anglais, en Allemagne l'allemand etc. Mais, on ne s'arrache pas au conformisme social. Et Régine d'enchainer avec sa période dite de séduction banale, fatale, à l'instar de ses ruptures. "Ses hommes" tous mystifiés furent au mieux des marchepieds, toujours encombrants avec leur sexe doublé d'un alcoolisme récurent. Régine : ce fut Mannolini sa grand-mère, en dépit de tout. Son secret de famille, elle l'avoue : sa mère buvait. Les enfants, enfin, furent la seule "chose" qu'elle n'eut pas. Sa carrière s'y substitua.
On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre !

 

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