"Mon garçon, commençait le membre de l’Institut, dites-vous bien que La Chartreuse, c’est d’abord de la musique ; du Métastase et du Verdi ; c’est de la musique comme la peinture du Corrège est une symphonie. Stendhal lui-même, répondant à Balzac, qui avait si bien loué La Chartreuse, disait : "Les ombres du Corrège vous jettent dans une douce rêverie ; c’est presque de la musique. "Quand Stendhal énumère les grands noms des palais parmesans ou les cimes des Alpes rhétiques - reprend Balzac -, il ne fait rien d’autre que de se jouer à lui-même la musique du souvenir, celle de sa vingtième année." J. Morand
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Édito
Le thème "du style", de ce soir, ne m’en était pas moins étranger quant au fond. Ceci dit dans un style aussi peu scolaire qu’il me soit possible. Où je ne me sens pas obligé de faire état de tout ce qui s’est écrit. De sorte que cet exposé est à mon image, là où j’en suis. Pour Buffon "Le style est l’homme même" alors que le style ou l’homme peuvent s’y présenter "indifféremment : thème ou prédicat".
Selon Gérard Genette (relisant Nelson Goodman) : "Le style est le versant perceptible du discours, qui par définition l’accompagne de part en part, sans interruption ni fluctuation. Ce qui peut fluctuer, c’est l’attention perceptuelle du lecteur, et sa sensibilité à tel ou tel mode de perceptibilité (...) Je cite toujours : La notion de style connaît en français une très grande extension. On peut rappeler la définition de Meyer Schapiro : "Par style, on entend la forme constante - et parfois les éléments, les qualités et l’expression constants - dans l’art d’un individu ou d’un groupe d’individus. Enfin, le terme "style" vient de "stilus", l’instrument dont les romains se servaient pour écrire. D’après Laurent Jenny, extrait d’un article paru dans le n° 11 de la revue Littérature : "J’aimerais aborder la notion de style par une réflexion volontairement large et englobante sur des pratiques qui excèdent le style artistique mais sur fond desquelles ce dernier prend sens. Il me semble en effet qu’on peut situer le style parmi un ensemble plus vaste de pratiques, pratiques vitales tout autant que productrices, et qui toutes ont pour objet "l’individuel".
Pierre Pachet, dans son livre écrit : "L’individu s’affirme le plus, et sous sa forme la plus abstraite, là où le signe de son affirmation est le plus stéréotypé. Pourquoi ? Ce que l’individu affirme là n’est pas la richesse de sa vie psychologique, son inventivité, ses ressources ; c’est sa pure indépendance, le pouvoir de dire oui ou non, de désirer ou de repousser... Ce "territoire" n’a pas à justifier sa valeur aux yeux d’autrui, ni son originalité. Il suffit qu’il soit posé comme mien".
Changeons de registre : Expliquer un style, selon Gombrich, consiste ni plus ni moins à situer son caractère expressif dans l’histoire générale de l’époque à laquelle il appartient, à démontrer que les formes qu’il utilise n’expriment rien qui ne s’exprime également dans les autres organes de cette époque.
À ce propos la Lettre de Rilke à un jeune poète est un modèle du genre : "C’est dans le beau poème "Mon âme" que je le sens le plus nettement. Là, quelque chose que vous avez en propre cherche sa forme et son style. Votre bonne lettre qui les accompagnait ne manque pas de m’éclairer sur certaines faiblesses qu’à la lecture de vos vers, j’avais perçues sans pouvoir les désigner nommément. Vous demandez si vos vers sont bons. Vous me le demandez à moi. Vous l’aviez auparavant demandé à d’autres. Vous les adressez à des revues. Vous les comparez à d’autres poèmes. Alors (puisque vous m’avez autorisé à vous donner des conseils), je vous conjure de renoncer à tout cela. Personne ne peut vous apporter aide ni conseil. Il n’est qu’une seule voie. Entrez en vous-même. Recherchez au plus profond de vous-même la raison qui vous impose d’écrire : examinez si elle étend ses racines au tréfonds de votre cœur, faites-vous-en l’aveu : serait-ce la mort pour vous s’il vous était interdit d’écrire. Si votre quotidien vous semble pauvre, ne l’accusez pas. Et seriez-vous vous-même dans une prison dont les murs ne laisseraient parvenir à vos sens aucun des bruits de ce monde, ne vous resterait-il pas votre enfance, cette richesse exquise, royale, ce Trésor de souvenirs ?" Rilke
Autre texte, tiré d’Une Enfance Berlinoise, Préface de Jean Lacoste à Sens unique de Walter Benjamin.
"Si Benjamin choisit de sauver, en 1933, ces incidents de son enfance berlinoise, ces fugitives initiations, comme on arrache un seul objet à un incendie, c’est peut-être parce que, pour citer une dernière fois les Thèses, ces instants critiques, ces "seuils", sont "le signe d’un arrêt messianique du devenir, autrement dit d’une chance révolutionnaire dans le combat pour le passé opprimé. Enfance berlinoise doit peut-être son existence à cette étrange et belle idée théologico-politique : nous avons envers l’enfant mort qui est en nous la même responsabilité qu’envers les espérances toujours en souffrance du passé".
Passons maintenant au propre aveu de Franz Liszt : "J’exécutais alors fréquemment, soit en public, soit dans des salons (où l’on ne manquait jamais de m’observer que je choisissais bien mal mes morceaux), les œuvres de Beethoven, Weber et Hummel, et, je l’avoue à ma honte, afin d’arracher les bravos d’un public toujours lent à concevoir les belles choses dans leur auguste simplicité, je ne me faisais nul scrupule d’en altérer le mouvement et les intentions ; j’allais même jusqu’à y ajouter insolemment une foule de traits et de points d’orgue, qui, en me valant des applaudissements ignares, faillirent m’entraîner dans une fausse voie dont heureusement je sus me dégager bientôt. Vous ne sauriez croire, mon ami combien je déplore ces concessions au mauvais goût, ces violations sacrilèges de l’ESPRIT et de la LETTRE, car le respect le plus absolu pour les chefs-d’œuvre des grands maîtres a remplacé chez moi le besoin de nouveauté et de personnalité d’une jeunesse encore voisine de l’enfance".
Merci de votre attention,
Étienne