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Au rive gauche
20 octobre 2013

Les deux pieds, les deux mains dans la merde !

 

atelier

W-ou-le-souvenir-d'enfanceConsigne en cet atelier d'écriture du 11 octobre 2013
"Il y avait aussi chez tante Berthe un grand dictionnaire Larousse en deux volumes. Peut-être est-ce là que j'ai appris à aimer les dictionnaires. De celui-là, je ne me souviens guère qued'une planche en couleurs, intitulée "Pavillons", qui reproduisait la plupart, sinon la totalité des drapeaux des nations souveraines."

"Bien que lié à un sentiment de chute sans fond, l'État de jubilation que je ressentis par la suite m'apparaît comme la preuve irréfutable que seule une souffrance physique avait le pouvoir d'apaiser le honteux malaise où m'entretenait le souvenir de ma faute ; cet État imprévu qui se manifestait par une sorte de gaieté, d'humeur enfantine, de disponibilité heureuse, d'entier détachement, me faisait à la fois trembler et rire…"

"Il monta sur les caisses et s'étendit de nouveau à plat ventre et il feuilleta le livre jusqu'à ce qu'il eût retrouvé la page : alors son visage se radoucit."  


L'une, voire ces trois citations vous inspirent-elles quelques souvenirs, ce soir ?

 À lire aussi
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>> La contribution d'Isabelle
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farrebiqueLa contribution d’Étienne
Il y avait effectivement ce vieux Larousse chez nous, avec ses quelques pages en son centre de couleur rouge vif consacrées au latin, tandis que sa troisième partie l'était aux noms propres. Et puis, impossible de passer outre la planche des drapeaux nationaux, des nations reconnues par L’ONU seulement. Le drapeau algérien, lui, ne viendra qu’à la suite de la victoire du FLN. C'est ainsi qu'on excitait le chauvinisme national, dès notre petite enfance. Un vieux dictionnaire usé que nous avons feuilleté maintes fois, lors d’incessantes journées de pluie.
Mais ce dont je me souviens surtout, c’est d'un manque récurent d’argent liquide à la maison. De numéraire en fait nous n’en n’avions presque jamais. Or, si plus aucun ticket de rationnement n'eut cours dès le début des années cinquante, nous avions quant à nous le carnet, sur lequel notre tante, épicière de son état, marquait Des-Foretstout. C’est ce qui me donna, un jour, la folle idée de m’acheter personnellement une boite de crayons de couleurs. Mais, ce qui fut considéré comme un larcin, ne passa pas inaperçu. Mes fesses s'en souvinrent longtemps.
Peu argentés, disais-je, nous n’avions pas chacun notre matériel. Les crayons circulant dans les rangs pour arriver jusqu’à celui qui en avait besoin, étant donné que nous trouvions presque tout le temps 3 ou 4 frères et sœurs dans la même des deux classes. Mon rêve d'avoir mes crayons à moi devint alors comme une obsession et je passai à l’acte.
Cette pénurie d’argent résultait de multiples facteurs, dont quelques erreurs d'appréciations parentales aussi. Auxquels s’ajouta la conjoncture économique des années 50 qui ne facilita pas les choses, mis à part l'exode rural. Bref, le versement trimestriel seulement, des allocations familiales ne modifiait rien, puisqu'elles comblaient à peine notre débit, chez les commerçants. Du reste, ma mère payait tout à terme échu. Notre budget familial ressemblait à celui de l'État actuel, toujours en déficit. Ce manque de liquidités était inversement proportionnel à la quantité de travail que nous fournissions. les-mendiantsTout le monde était sur le pont, à partir du moment où nous étions capable de tenir un outil. Au reste, nos parents nous faisaient prier pour les soldats qui étaient en Algérie, pour faire venir la pluie, pour que le "très haut" protège nos récoltes. Nous devions au surplus nous sentir fautifs. D'où un besoin irrépressible de réparation. Il nous fallait expier sans cesse, jusqu'aux fautes que nous n'avions pas commises. Tant et si bien que j'exécrai bientôt autant le travail, le fric que la religion. Je me sentais comme un oiseau en cage.
Loin d'être découragé pour autant, j'espérai beaucoup de mes frères aînés. Lesquels avaient déjà forcé le verrou familial. Paradoxalement, c'est le manque d'argent qui sera à l'origine de l'ouverture paternelle, dans laquelle je m'engouffrai. Ceci dit, il m'en fallut du temps, afin de faire tomber la boue encore accrochée à mes souliers.
Timidement, je commençai à ne plus faire mes Pâques*, une fois l’an. Puis, je me mis à travailler comme un fou. J'enchainai les semaines de 50 à 60 h de travail. Auxquelles s'ajoutaient les périodes des congés payés, ainsi que les week-ends, tous travaillés au noir conséquemment. Et puis vint Mai 68. Désormais, j'eus à l'esprit qu'on ne s'en sortait pas ainsi. Et j'étais encore loin du compte. Premièrement, je me fis embaucher à l'usine Rhodiacéta. Un choix décisif, influencé en cela par mon épouse. La ville de Besançon - ma ville puisque j'avais toujours rêvé d'y venir - me fournira l'énergie dont j'avais besoin. Sans le savoir je transposais la foi du charbonnier de mes pères, celle qui veut qu'à force de prier on ne finisse pas croire, en celle de l'humanité. Désormais, il était loin le souvenir du vieux Larousse. Enterrée, du coup, la faute indélébile qui avait marqué plusieurs générations de paysans avant moi.
Quelle libération ce fut, mais à quel prix aussi ! Encore qu'en ce domaine rien ne soit trop cher. Pourvu qu'on ait l'ivresse !

*Obligation d'aller se confesser puis communier

 

Commentaires
T
Bonsoir,<br /> <br /> Chose promise devant tant de sympathie alors chose due par ce léger message pour souligner le croisement de deux mains autour d'un livre, Lucarne, dont le titre évoque sans ciller une ouverture sur un autre... monde.<br /> <br /> J'ai, à l'instant, feuilleté - un mot adéquat par force - votre blog plein de vie, plein de vies consacrées au livre et aux idées ; les fondamentales à n'en pas douter !<br /> <br /> Au plaisir d'une autre rencontre fortuite comme...<br /> <br /> Ludovic
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