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Au rive gauche
24 avril 2013

"Le bateau sur la montagne", restera à jamais un mythe !

Le_Masa_Dagh_livreLe crime de l'oubli, Elie Wiesel
Ce roman est un chef-d'œuvre. Je l'ai lu après la Libération. J'avais vingt ans. Je viens de le relire. J'y retrouve la puissance d'évocation et la conscience blessée qui, à l'époque, m'avaient bouleversé jusqu'au tréfonds de mon être. Cette communauté villageoise arménienne, condamnée par les convulsions d'une histoire qui la dépasse, m'est devenue proche. Guettée par la mort, elle revendique sa liberté. Assiégée par un ennemi impitoyable, trahie par une société indifférente, elle choisit la résistance armée. Pour sauver l'honneur arménien ? Pour sauver l'honneur de l'homme. On comprend les mobiles qui poussèrent Franz Werfel à s'intéresser à cette tragédie. Juif autrichien, réfugié en quête d'exil, il ne pouvait pas ne pas s'émouvoir du destin farouche qui, depuis des siècles, semblait poursuivre le peuple arménien sur sa route à la fois ensoleillée et endeuillée. Chassé de sa terre, persécuté pour sa fidélité à sa croyance religieuse, le peuple arménien, pareil au peuple juif, a su s'adapter aux incertitudes du présent en demeurant enraciné dans la mémoire immuable, mémoire collective où la mort elle-même est vaincue...
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mayrig_affiche"Eh, haut hisse" ! Hisser un bateau (baptisé "Albatros") sur un lac de montagne, quel qu'il soit, voilà une affaire qui ne s’annonçait pas faite pour notre bon Hérian (ancien capitaine au long cours). Comment rendre son projet crédible, trouver l'argent, les moyens physiques et matériels de l'y emmener ? Ce, en pleine guerre mondiale et guerre civile, ajoutées aux conséquences du génocide arménien en Turquie  ! Les paysans, eux si coriaces, sont butés, surtout lorsqu’ils doivent quitter leurs champs et prêter leurs bœufs en pleine période de travaux de labour. Inutile donc de discuter plus avant. La nuit s’avançait et les bouteilles s’accumulaient. A partir de là Zarian l'auteur naviguait dans l’irréel. Lequel peut parfois être plus vrai que le réel. Et l’albatros qui n'avance pas.

Il est des circonstances dans lesquelles, il faut se battre pour vivre. Quand il a un peu bu, Hérian notre héros est immédiatement gagné par la tristesse. Et puis, son histoire de bateau n’est que peu de choses à côté du reste, des problèmes de l’heure. Il se trouve tout de même des gens pour se mêler de l’opération. "Je reviendrai" avait-il dit à sa compagne en partant et partit sans la regarder. Tandis qu’il sent bien que c’est pour elle qu’il part. Ainsi, au fur et à mesure du temps, l'assurance d'Hérian s’évanouit. Et l’albatros qui n'avance même pas d’un iota.

Partout on ne parle que de guerre, des avancées et des reculs des grandes puissances, ainsi que de leurs retournements d’alliances. Puis enfin, vient comme un cheveu sur la soupe le traité de Brest-Litovsk - entre Bolchevicks et Allemands - que les petit-bourgeois indépendantistes arméniens ne comprennent pas. Tout est désormais cul par-dessus tête et s’arrête. Certes un administrateur le reste, mais sans avoir rien à administrer. Hérian se dit qu'il lui faut attendre que les circonstances changent. Qu’elles redeviennent favorables. La femme demeure néanmoins l’obsession - comme dans toutes les révolutions ou grèves -, plus l’anarchie. C'est ainsi que tout se déprécie. L’individu n’est rien dans ces circonstances, toujours changeantes. Et l’albatros qui ne bouge toujours pas.

Dans cet amas humain on se bat pour son «moi» et avec son «moi». Au point qu'on ne sait plus s’il faut rire ou pleurer. La débrouillardise s’instaure, les gens volent et se volent. Puis enfin, tout le monde vend tout, plaque tout. Et plus rien ne se fait plus sans les pots de vin. Comble du comble, la femme de Hérian est partie chez ses parents, en Russie, avec leurs enfants. Et l’albatros qui n'avance encore pas.Un_bateau_sur_la_montagne_livre

A cela, s’ajoute la "menace" bolchevique que beaucoup confondent encore avec les Russes d’avant. Ceux d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier, assurent leurs partisans. Échapper aux bourreaux (Turcs), sans tomber dans les mains des bandits (Russes, d'avant Octobre). En somme, Turcs ou Bolcheviks, telle est l’alternative des nationalistes. Dans un tel contexte, l’indépendance, la création d’un État deviennent une gageure. D’autant plus que dans ce pays des villages sont coupés du monde l’hiver pendant des mois. À un moment où le ciel abaisse son rideau, où l’automne s’impatiente, nous dit l’auteur. C'est ainsi que tous souffrent. L’Église, la nation, la famille, le patriotisme et le travail se confondent bourgeoisement parlant, comme jamais dans un même phantasme. Et l’albatros qui n'avance décidément pas.

On continue néanmoins à faire la fête. La vodka coule à flot, les réunions se multiplient, la propagande fuse de partout, le prolétariat apparaît petit à petit comme la force qui monte. La danse et la liesse populaire me font penser à des scènes de libération, à mes fêtes villageoises. Car, il n’y a rien qui ressemble plus à un peuple agriculteur qu’un autre peuple de paysans. Et puis, rien n’arrive en vain. L’armée continue à combattre et le parti à discuter. Quant à l’Europe, mieux vaut ne pas en parler. Déjà, dirions-nous. Et l’albatros qui fait du surplace.

S’ils font le choix du Bolchévisme, ce n’est que par défaut. Dès lors, les expropriations se multiplient, "Les soviets au pouvoir !", entend-t-on "Vive la république soviétique arménienne !", "vive le communisme !", "vive l’armée rouge !" résonnent. C’est sûr, quand on se bat, on se bat. Et les bolchevicks qui relèvent la tête. Des gens à demi cultivés, en revanche ne sont qu’un fléau, des sacs à paroles et à intentions Voilà la vérité Mais, les verres sont pleins et personne ne boit. Comme c’est bizarre que l’homme ait peur de l’homme. Faut-il être riche ou non ? Question encore à l’ordre du jour. Ce roman est une ode au nationalisme, comme cadre culturel, psychologique originel. Ceci étant, le choix de la langue ne pose aucun problème à notre auteur polyglotte, à partir du moment où il a quelque chose à dire. Les mouvements de foule sont admirablement décrits. La rue et les odeurs de chats le surprennent et lui font prendre conscience de la précarité de leur situation. Et on parle de l’Europe déjà, mais pour dire qu’il n’y a rien à en attendre. Moralité : depuis les évènements, tout est encore plus désorganisé. Mais, buvons à la santé de ceux qui suivent une idée jusqu’au bout. Furieux contre lui-même et contre les femmes Hérian, lui, pense à son bateau. Surtout, ne pas oublier la quinine ! De retour chez lui, il se sent étrange, indifférent, ainsi que cela m’arrive dans mon village. Les liens sont rompus. Le passé a disparu. Et l’albatros qui n’avancera plus.

La danse et la liesse populaire comme liant, on continue coûte que coûte à faire la fête. Mais, il reste encore et toujours une question : où trouver de l’argent. Car, il y a la guerre et Hérian souffre de tout. Fort heureusement, avec la révolution on a la solution à tout ! La vague révolutionnaire des années 20 s'étend. Grâce aux révolutionnaires - fouteurs de merde -, les soldats se révoltent, sortent le drapeau rouge.
Enfin et pour conclure : Avec le Bolchevisme, ça fait voir plus loin !

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