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Au rive gauche
2 février 2013

Les fiancés

logo club de lecteursItalo Calvinoles fiancés - suite et fin (1ère partie)
Les Fiancés : Le roman des rapports de force
Renzo et Lucia ne savent ni lire ni écrire : ce fait a, dans Les Fiancés, une portée décisive et on ne me semble pas lui avoir accordé l'importance qu'il mérite. Certes, ne savoir ni lire ni écrire est (ou du moins on peut le présumer) une caractéristique commune à des héros et héroïnes de nombreuses œuvres littéraires, avant et après eux, mais je ne saurais citer aucun autre grand livre où la condition de l'illettré soit aussi présente à la conscience de l'auteur. Renzo et Lucia ne savent ni lire ni écrire dans un monde où la parole écrite surgit continuellement devant eux, pour les séparer de la réalisation de leur modeste rêve. Dans l'univers de Renzo et de Lucia la parole écrite se présente sous un double visage : instrument de pouvoir et instrument d'information. Comme instrument de pouvoir elle est systématiquement contraire aux deux pauvres fiancés : c'est la parole écrite que contrôle le docteur Azzecca-Garbugti, c'est le "papier, plume et encrier" avec lesquels l'aubergiste de la Pleine-Lune essaie d'enregistrer l'identité de ses clients, ou, pire encore, le papier-plume-encrier invisibles avec lesquels Ambrogio Fusella réussit à prendre Renzo au piège. Comme instrument d'information, c'est son absence qui devient l'un des motifs récurrents de ce qui est, pour une large part, le roman d'un éloignement. Il vaudrait la peine de citer plus souvent, comme l'un des passages les plus significatifs du livre, certaines pages du chapitre XXVII qui parlent des difficultés qu'ont Renzo et Lucia à correspondre grâce à des lettres écrites et lues par des intermédiaires. Manzoni consacre un paragraphe, parmi les plus beaux du livre, à la manière dont les analphabètes communiquent par lettre.
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Le-roi-et-l'oiseauÉdito
Finissons-en avec notre histoire vénitienne du XVIIe siècle, artistiquement contée par Manzoni, toujours redresseur de torts. Alors que Lucia* l'héroïne  et Agnese sa mère se sont réfugiées dans un couvent. Tandis que Renzo le fiancé, lui, erre dans un monde plus qu'hostile. Quant au guide chargé des deux femmes, il ne tiendra pas sa langue. Démontrant une fois de plus qu'une des faiblesses des pauvres est qu'ils sont corruptibles (Bonjour la gauche !). Avec la complicité de Gertrude sa gardienne (bonne sœur malgré elle), Lucia est enlevée par "le Grisot", nervis de Don Rodrigo, le tyran. Ce qui démontre que sans connivencesUn-héros-de-notre-temps préalables, beaucoup de mauvais coups deviendraient impossibles.
Séducteur et oppresseur ce noble "joli cœur" veut néanmoins "adoucir" Lucia. Tel le héros du roman de Lermontov "Un héros de notre temps", lequel enlève celle qu'il convoite. Mais désire, ensuite, que l'attrait naisse chez celle-ci. Mais, il y a souvent loin de la coupe aux lèvres !
Impuissant, Don Rodrigo sollicite l'aide de son oncle qui accepte d'héberger l'enlevée, pour éviter que son nom soit mêlé à un échec. Toutefois, si Lucia est illettrée, elle a du flair et plus le temps passe, plus elle sent son tôlier fléchir. Croyante, son sauvetage ne tient plus que du miracle, pense-t-elle. Et, pris de remords, l'oncle relâche Lucia. Á partir de là, tout ira de mal en pis pour le "beau" Don Rodrigo. Encore que le roman ne s'arrête pas à ça. Tout n'est que prétexte à Manzoni pour nous dépeindre une société.
Pendant ce temps-là, notre pauvre Renzo se trouve pris au centre d’un "cyclone", déclenché par des émeutes de la faim, à Milan. La description que fait Manzoni de la naissance et de l'essor d’un mouvement de masse justifierait à elle seule le roman. Un incident, aussi minime soit-il, déclenche une véritable révolution, selon les circonstances. L’arrivée des soldats ne fait qu’empirer les choses Leopardi(voir l'Égypte actuellement). Dans un tel contexte, la moindre hésitation est prise pour une faiblesse, de part et d'autre. Les "accapareurs" de blé, réels ou imaginaires, deviennent la cible de la foule en colère. La rumeur enfle au point que "les greniers regorgeraient de blé". On dénombre même les sacs, des chiffres fantaisistes circulent. Des gens somment la justice de fixer le prix maximum du pain. On menaçe ceux qui refuseraient de vendre, ne serait-ce que pour spéculer. De guerre lasse, la pression retombe enfin sur les boulangers. Quant au gouvernement il nomme une commission (du Hollande déjà), tandis que la junte au pouvoir augmente le pain. Devant tant de lenteurs, les livreurs sont attaqués. Et puis "sus aux boulangeries" clament les plus impatients. Néanmoins, "c’est devenu criminel que d’aller se servir", même lorsqu’on n’a rien. Dès lors, on décrète la pendaison pour "les voleurs". Les hallebardiers (CRS) chargés de défendre la maison du régent sont débordés. Devenus des boucs émissaires, les victimes de la vindicte populaire perdent la maîtrise de leurs nerfs, incendient les boulangeries, ce qui aggrave encore la pénurie. L’idée que tout est prémédité, que c’est le fait d’étrangers prend forme. La preuve : on a arrêté un homme.
Sans rien savoir de ce que trame son ennemi, Renzo est rattrapé par la faim. Querelleur à souhait, entêté, Renzo tombe de Charybde en Scylla et se fait détrousser. Pris dans la nasse, il refuse de révéler son identité. Tandis que soucieux de s'éviter des ennuis, l’aubergiste le balance. Finalement Renzo est embarqué, "bracelets" aux poignets. C'est alors que lui et sa petite escorte tombent sur une manif. Profitant d'un moment de confusion, Renzo prend ses jambes à son cou. Et les gens de l’encourager dans sa fuite. Il est vrai que les gabelous filtrent les entrées de la ville, pas les sorties. Ouf, il est parti ! C’est alors seulement qu’il repense à ce qu’il est venu faire. Voici qu'on le prend pour le chef de l’émeute. Sa lettre de recommandation devient un paquet de lettres. Profitant du chaos, il s'en sortira. Enfin, c'est pour une histoire de succession que l’État de Venise sollicite l’aide de la France. Qui, elle, amène la peste. Celle qui emportera Don Rodrigo, justement. Telle une justice divine, ou le fait du hasard.
Moralité : Voulez-vous que beaucoup de gens vous aident ? Faites en sorte de ne pas en avoir besoin.

* harcelée par un artisto

 

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