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Au rive gauche
28 octobre 2012

Les fiancés ou le roman des rapports de force

1ère partie

Armand Monjo - PréfaceLes-fiancés
Vingt ans séparent la première page manuscrite du roman de Manzoni (24 avril 1821) de la sortie de l'édition définitive (Milan, 1840-1842). Vingt ans de documentation et de recherches, d'ébauches, de corrections, trois refontes successives du texte, des années à polir le style, à revoir minutieusement la langue : comme la Divine Comédie, Les Fiancés sont l'œuvre d'une vie. A cinq siècles de distance du monument poétique de Dante, qui marque la fin du Moyen Age, résume une civilisation, crée la langue italienne, le chef-d'œuvre de Manzoni marque une étape aussi importante de la littérature de l'Italie moderne. Génie lui aussi sans école, le romancier du dix-neuvième siècle apporte à la fois une "somme" de traditions nationales, fixe pour un siècle le langage, renouvelle profondément la sensibilité littéraire, pose les fondations du roman moderne. Œuvre touffue, riche et unique en son genre, Les Fiancés ressemblent un peu à ce père provincial du livre, que l'on pouvait prendre de cent côtés. Extérieurement, c'est le roman d'un catholique qui, comme le remarque Gramsci, a subi la Contre-réforme, et dont le christianisme "oscille entre un aristocratisme janséniste et un paternalisme populaire jésuite". Mais c'est aussi l'œuvre d'un catholique libéral qui, pour la première fois en Italie, fait du peuple le principal personnage d'un roman, critique sans ménagement l'aristocratie, exerce son ironie démystificatrice sur les puissants d'une société corrompue, gouverneurs, princes, ministres et militaires, tous ceux qui, traditionnellement, occupent le devant de la scène de l'Histoire, dont les statues ornent les places et les portraits embellissent les manuels scolaires. Et il n'est pas moins caractéristique (c'est encore Gramsci qui le remarque) que les catholiques les plus orthodoxes semblent se méfier de Manzoni, en parlent le moins possible, en tout cas n'analysent pas son œuvre maîtresse comme ils le font pour celle de Dante.

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sensoÉdito
Roman de la misère, de la faim, du chômage et de l'immigration, entre autres choses, Les Fiancés* ne sont pas sans quelques liens avec la dernière crise et les réminiscences indignées, auxquelles nous assistons. Tandis que ma première lecture remonte à 1982, année de sa réédition. Celle que j’en fais à nouveau, n’est en rien la même. C’est de loin et la plus Les-malavolglia"analytique". Enfin, je ne vous présenterai ni Manzoni ni l'objet de l'intrigue. Voir Monjo ci-dessus, et Calvino en 2e partie.
Ceci étant, tout commence très fort avec Albondio le curé (un des principaux personnages), qui se défend de penser que c'est bien lui-même que deux "bravi" (des coupe-jarrets), faussement inoccupés, paraissent attendre. Et Manzoni de nous décrire la scène comme si nous y étions nous-mêmes de l'intérieur, dans la "bonne conscience" du brave curé. Plus Albondio avance et plus il se fait à l'idée qu'il ne peut échapper à son pauvre sort. Pour enfin - fichu pour fichu - se mettre à souhaiter qu’on en finisse. Il doit empêcher le mariage des Fiancés. Pour la raison que Don Rodrigo, le tout puissant noble de la région, a lui-même "des vues" sur la fiancée. Au point que ce dernier a parié sur le succès de son entreprise. Elle sera sienne, ou il ne s'appelle plus Don Rodrigo ! Modèle de lâcheté masculine, Albondio concède en général, sans en avoir conscience, ce qu’il ne peut refuser. Non sans s'être donné au préalable tout le temps - que la sainte providence lui donne - afin de trouver un moyen pour y échapper. N'écoutant que sa peur, il tente néanmoins de négocier, là où il n'y a rien à marchander. C'est ainsi qu'Albondio soutient ou finit toujours par se ranger du côté du plus fort. Tout en ayant l’air de dire au plus faible : "Que n’es-tu toi-même le plus fort ? je t’aurais soutenu de la même manière." Bref, la sentence est édictée, elle doit être respectée à la lettre et, plus difficile encore, n'en parler à personne. Or, s'il est des affaires qui passionnellement ou Mastro-don-gesualdohystériquement ne se passent comme aucune autre, c'est bien celles qui touchent au sexe ! Renzo et Lucia, les deux promis, ne l'entendent pas non plus de cette oreille et sont bien décidés à vaincre le tyran. Encore qu'affronter, au XVIIe siècle, le plus puissant seigneur de la région n'est pas sans risques mortels. Leur première réaction est de tenter de le faire par la ruse. Sauf que des évènements, indépendants de leur volonté, s'en mêlent. Lesquels sont provoqués par la peur panique d'Albondio, qu'on ne saurait prendre par surprise. Tant et si bien que la tentative de provoquer un mariage à "l'insu du plein gré" du curé échoue. De même que celle simultanée d'enlever Lucia, qui doit être reportée. Because le chambardement et la manique provoqués par la réaction d'Albondio. Gros-Jean comme devant, Renzo doit fuir et changer d'État. Et c'est là que les choses se compliquent.
Ce d'autant plus que chaque intermédiaire ne voit que midi à sa porte. A l'instar du docteur en droit qu'Enzo s'en va consulter. Ce docte personnage lui souffle la parole, se lance dans une longue diatribe du type de la langue de bois. Mais, dès qu'il comprend que c'est à Don Rodrigo qu'il aura à faire, il chasse Renzo et ses deux perdreaux (apportés en guise de paiement) pardessus. En vertu du principe qui veut qu'il vaille mieux ne pas arriver les mains vides, si l'on a un service à demander. Dixit la mère de Lucia. Par ailleurs, Cristoforo (un moine en repentance), rencontre le tyran dans son fief et tente de l'amadouer. Mais rien n'y fait. Pour Rodrigo, il ne saurait être question de perdre la face, face à ses pairs. Jusqu'à Gertrude, la bonne sœur qui accueille Lucia et sa mère, qui se venge du destin que ses origines sociales déterminèrent. Et la tension monte dans les deux camps !

*Une histoire écrite au XVIIIe siècle


 

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