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Au rive gauche
7 septembre 2012

"Terre, ô ma terre !" Lecture (5)

Halldor_Laxness_citationAu sujet de l'auteur et de son oeuvre (Introduction à "La cloche d'Islande") :
"Trois personnages dominent cette vaste fresque dont aucun Islandais vivant ne songerait, un seul instant, à douter qu'elle ne soit la plus grande œuvre écrite dans sa langue à l'époque moderne : La Cloche d'Islande. C'est d'abord le paysan Jon Hreggvidsson, noir de poil et (peut-être ?) de conscience, têtu, gaillard, paillard, sarcastique, sentimental, sordide, sublime, indécrottable et indomptable, fustigé, rossé, affamé, vilipendé, glorifié. Et vivant, prodigieusement vivant. Puis Snaefrid Eydalin Björnsdottir, la vierge claire, la femme-elfe, l'irréelle sylphide digne des rêves de Chateaubriand, l'une de ces "majestueuses filles de Vikings" que le bon Xavier Marmier, voici plus d'un siècle, ne se lassait pas d'admirer "tant elles sont belles à voir passer sur la crête de la colline, avec leur taille élancée et leurs longues boucles de cheveux blonds tombant sur l'épaule". Et enfin Arnas Arnaeus qui est la science et la conscience, la mémoire et le savoir. Sur chacun d'eux pèsent de tout leur poids l'histoire, la légende et le prestige de l'Islande, tout ce qui fait la gloire non pareille de ce peuple minuscule (il compte tout juste deux cent vingt mille habitants aujourd'hui pour une superficie qui représente le cinquième de celle de la France ; il n'atteignait pas cinquante mille âmes à l'époque où se déroule le roman, c'est-à-dire au début du XVIIIe siècle) demeuré exemplaire à plus d'un titre. Lire un tel livre, à la fois historique — encore que librement romancé'— épique et dramatique, c'est bien plus que se plonger dans une atmosphère tant soit peu exotique et découvrir un décor, une action, une époque et un univers fascinants. C'est aller aux sources mêmes de notre civilisation et de notre culture, en leur esprit, c'est vivre quelques-uns de leurs maîtres mots, ici lourds de chair et de sang, et qui s'appellent indépendance, liberté, dignité, honneur, courage. Car il n'a jamais été facile d'être Islandais. Et Laxness, prix Nobel en 1955, qui serait apprécié chez nous à l'égard de Cervantès, de Zola, de Tolstoï ou de Hamsun s'il n'était islandais, le sait mieux que personne".

Pelle_le_conqu_rant_filmEdito : la lecture du roman ci-contre : "Gens indépendants" de Halldor Laxness, m’a immédiatement enchanté. Ca démarre fort et tout de suite. Par un beau matin d’hiver, en effet, un petit garçon se réveille un peu avant tout le monde. La maison résonne encore des ronflements du père, ainsi que des mille et un bruits occasionnés par la grand-mère qui s’active autour du fourneau, à faire le café. Dans sa rêverie, ce petit garçon se met à observGens_ind_pendants_livreer les éléments qui constituent le plafond - idem pour les ustensiles de cuisine - qu’il anime, pour l’occasion, en s’inspirant de tel ou tel trait de caractère de ses proches. La détresse extrême de ce petit garçon n’échappe pas au lecteur. Tandis que la narration est truffée de clins d’œil à ce qui constitue le folklore populaire islandais. En cette circonstance, l’imagination est reine, les préjugés de même. Je me vis moi-même, à tuer ainsi le temps chez moi, dans la chambre "du haut" réservée aux enfants... Qu'il est long le temps d'attente, lorsqu'il ne se passe presque rien !
Bref, "Gens indépendants", est une ode au travail humain, un panégyrique non complaisant de la misère humaine, sous tous ses aspects. Hymne à la vie sous toutes ses formes, ce "conte" nous incite à devenir l’acteur de notre propre vie. Toutes conditions étant égales par ailleurs certes ! Car il ne s’agit pas de croire que les conditions sociales, économiques et politiques ne présideraient pas, pour une part essentielle, à notre bonheur de vivre. Au point que nous sommes tous dans l’obligation de sublimer cette tragédie qu'est la vie humaine, d’une manière ou d’une autre. Les difficultés, voire l’impossibilité, d’accepter les impératifs quotidiens - toujours synonymes de notre fin annoncée - n'ont pas d'autres justifications. La poésie, l’esthétisme, la justice, la vérité, l’égalité pourquoi pas et bien d’autres mythes encore sont autant de thèmes, autrement dit de moyens, venant à notre Les_annales_de_Brekkukot_livrerescousse. C’est peut-être là, d’ailleurs, que se situent les limites de notre cher Halldor. En effet, à aucun moment il ne dépasse l’idéal bourgeois. Lequel magnifie la réussite individuelle, tout autant que l’accession à l’indépendance nationale.
Quant à la détermination de Bjartur, son héros, elle se confond avec un entêtement, bien paysan celui-là. C’est en cela que je trouve beaucoup de justesse et de pertinence dans ce roman. Qui, je le répète, me renvoya sans cesse à mon enfance, de même qu'à ma place au sein de ma fratrie, puis conséquemment face à celles et ceux contre qui je me battis de nombreuses années. Tel un verset sur ma condition humaine en quelque sorte. Encore que les évènements de cette histoire terrestre se passent tous dans un contexte mi-réel, mi-inventé par l’auteur. En eux-mêmes, ils n’ont presque pas d’importance. En somme, je définirais : Gens indépendants comme un roman sur notre destinée. Bien qu’empreinte d’un fatalisme rien moins que sublimé. Néanmoins, cette allégorie d’une vie de paysan, laquelle se passe au moment de La Grande Guerre et de la révolution russe de 1917 pour ne rien gâcher, n’est jamais lassante. Et puis, il y est toujours question de la lutte que se mènent partisans et adversaires des plus anciens préjugés religieux du monde. Aussi vieux que l'univers paysan, ce combat contre nos "démons" était le propre de la vie spirituelle et intellectuelle de mes aïeux. Qui n’était que la transposition d’une autre lutte, à savoir : celle qu’ils menaient contre les misérables conditions dans lesquelles ils vivaient, puis, en second lieu, contre l’idée-même de notre déchéance finale. Qu’ils rejetaient d'un bloc, au nom de leurs croyances en l’éternité !

 

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