"Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute"

(Jean de la Fontaine)

Lettre ouverte aux ouvriers français 10 juin 1935
Chers camarades,
Je quitte aujourd'hui la France et cette circonstance me donne, enfin, la chance de m'expliquer ouvertement devant vous : tant que je restais sur le sol français, j'étais condamné au silence. Il y a deux ans, le gouvernement "de gauche" Daladier, dans sa lune de miel, me permit de me fixer en France avec les mêmes droits, paraît-il, que les autres étrangers. En fait, il me fut interdit de vivre à Paris, et je me suis immédiatement trouvé sous la surveillance de la police. Peu de temps après le 6 février 1934, le ministre de l'intérieur, Albert Sarraut, après une campagne enragée de la presse, signa un décret m'expulsant de France. Il ne se trouva pas, pourtant, de gouvernement étranger qui consentît à m'accepter. C'est la seule raison pour laquelle le décret d'expulsion n'était pas venu jusqu'à maintenant à exécution. Il me fut prescrit par la sûreté nationale de me fixer dans un département déterminé, dans un petit village, sous la stricte surveillance de la police. Dans ma dernière année de vie en France, je fus plus coupé du monde extérieur que lorsque je vivais dans l'île de Prinkipo, en Turquie, sous l’œil de la police de Kemal-Pacha… Les ministres les plus "démocrates", tout comme les plus réactionnaires, ont pour tâche de sauvegarder l'esclavage capitaliste. J'appartiens au parti révolutionnaire qui se donne pour but de renverser le capitalisme. De cet antagonisme irréductible découle inévitablement la lutte, avec toutes ses conséquences. Il n'y a là aucun motif de se plaindre !... Il y a deux ans, l'Humanité répétait chaque jour : "Le fasciste Daladier a fait appeler le social-fasciste Trotsky en France, pour organiser, avec son aide, l'intervention militaire contre l'U.R.S.S.". Il s'est trouvé des gens assez nombreux, honnêtes, mais naïfs et ignorant, qui crurent à cette absurdité, comme au printemps de 1917, des millions de paysans de soldats et même d'ouvriers russes crurent Kerensky quand il affirmait que Lénine et Trotsky étaient des "agents du kaiser Guillaume"… Sur l'ordre de Staline, Cachin, Thorez et consorts appellent à présent les ouvriers français à soutenir leur militarisme national, c'est-à-dire l'instrument de l'oppression de classe et de l'avilissement colonial. Ces calomniateurs se sont démasqués et aujourd'hui ils ont réellement conclu alliance avec Daladier, Herriot et Laval et se sont attelés au char de l'impérialisme français.
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Édito : A lire ces textes de Trotsky, qu'à dessein je présente ces jours-ci et qui, pour certains, paraissent sortir d'un autre âge (voire de nulle part), d'aucuns penseront que tout cela n'est que radotage de vieux militant trotskyste en déshérence, nostalgique de surcroît. Ou - au mieux penseront les plus jeunes de nos lecteurs - que toute cette affaire du stalinisme ne soit que du passé, que celui-ci est mort et bien mort ! A voir en effet ! Pour un trotskyste, le phénomène stalinien ne fut pas que les camps disciplinaires, ni que les procès montés de toutes pièces. Ce fut une réaction à la politique des révolutionnaires, qui agira ensuite telle une gangrène réformiste au sein du mouvement ouvrier international. La bourgeoisie mondiale ne s'y est d'ailleurs pas trompée, elle qui s'en servait comme d'un repoussoir anti-communiste. Cela dit depuis l'ouverture des pays de l'Est à l'Ouest, les partis communistes (ex-staliniens) se maintinrent beaucoup mieux que ne le prévoyaient les idéologues bourgeois. Ce qui entre nous ne prouve rien !
Apeurée par le mot "révolution", la bourgeoisie française condamnera jusqu'à sa propre "terreur révolutionnaire" (celle des sans-culottes de 1793/94), à qui elle doit cependant tout ! Belle hypocrisie, n'est-ce pas ? Entre nous soit dit, Mélenchon n'osera pas lui- non plus y faire allusion, lui qui prenait quotidiennement la Bastille ! Mais nous n'allons pas leur demander d'être conséquents. D'autant plus qu'il s'agit pour tous ces réactionnaires de faire feu de tout bois contre tout ce qui touche de près ou de loin à la "révolution ouvrière". Un terme qui ne fait plus peur à Marine, depuis que les médias viennent d'en faire une héroïne du premier tour. Mais qu'on se souvienne qu'Hitler lui-même proclamait qu'il voulait faire sa révolution nationale. Ce, jusqu'à la Nuit des Longs Couteaux qui le vit massacrer tous ses chefs et montrer son vrai visage. À savoir qu'il n'était qu'un fieffé réactionnaire lui aussi, doublé d'un valet du grand capital. Cependant, loin de nous l'idée de prédire un avenir aussi juteux à Marine. Les candidats à diriger un mouvement de type fasciste peuvent encore se recruter au sein de beaucoup de familles politiques. Les surprises peuvent encore dépasser tout ce qu'on imagine de pire.
Bref, dans un concert de klaxons médiatiques tout au long de sa campagne électorale, Mélenchon - secondé par la presse bourgeoise - en serait presque arrivé à nous faire oublier ce qu'est la véritable nature du fascisme. Tout en passant sous silence l'héritage du stalinisme. Comme si la chute du mur de Berlin avait effacé, d'un coup de baguette magique, des années de mensonges à gauche. "On a les noms" : dixit Coluche. Il se trouve, simplement, que la réalité qui nous attend se chargera de nous rafraîchir la mémoire. Regardons déjà ce qui se passe du côté des pays touchés avant nous par des mesures d'austérité, que nous n'envisagions pas il y a seulement un an. Je veux parler de l'Islande, de la Grèce, de l'Italie, du Portugal, de l'Espagne, de la Roumanie, de la Hongrie, de la Suède et d'autres encore… Les coalitions de droite et de gauche au pouvoir fondent comme neige au soleil. L'extrême droite se démarque, en espérant préparer l'avenir. Les unions nationales se succèdent, puis cèdent la place à des "techniciens". Espérant une fois  le sale boulot opéré, revenir pour un nouveau tour de manège.
Trotsky reviens, j'ai les mêmes à la maison !