Circulez, y a rien à voir..! (dixit Coluche)

"En 1908, la première "société psychanalytique" est officiellement fondée, à Vienne. Mais c'est depuis 1902 que quelques hommes ont pris l'habitude, et le goût, de se réunir chaque semaine au domicile de Freud : les fameuses "séances du Mercredi soir"... La métaphore, aujourd'hui si usée, de pionniers de la psychanalyse retrouve ici sa saveur, et le mot, aujourd'hui si généreusement distribué, de séminaire, sa raison d'être. Sous la direction ferme et discrète de Freud, un groupe assez hétérogène de médecins, d'éducateurs, d'écrivains s'avance, avec un mélange d'enthousiasme et de réticence, dans un territoire pour eux à peine défriché et aux frontières encore mal définies. Aussi les questions abordées sont-elles très diverses: troubles de la sexualité, étiologie des névroses, inceste ; mais les exposés suivis d'une discussion — à laquelle chaque participant est tenu de contribuer — peuvent aussi porter sur des œuvres littéraires ou même être l'occasion d'aveux et de souvenirs personnels...  L'éditeur 1976
Présentation de "la psychanalyse dans son histoire"
Le temps n'est pas encore venu d'écrire une histoire de la psychanalyse. D'abord, l'essentiel de ce qui concerne cette histoire — dès qu'on veut aller au-delà des "actes" officiels des différentes Sociétés, de la recension de leurs activités scientifiques — reste marqué du secret. Freud lui-même l'a voulu ainsi en créant le fameux "Comité secret" pour veiller au destin de la cause... Ensuite, il faut le reconnaître, des documents majeurs nous manquent... Cela dit, il ne faut pas se dissimuler que, même lorsque le jour viendra où une histoire de la psychanalyse pourra être sérieusement entreprise, les difficultés de la tâche resteront considérables... La psychanalyse est dans la société et dans l'histoire; elle subit, parfois à son insu, l'action de l'une et de l'autre. Mais elle est aussi — et il faudrait dire: d'abord, au moins au titre d'hypothèse de travail — dans son histoire... Le "mouvement" psychanalytique n'est assurément pas linéaire... Ce n'est pas par simple commodité éditoriale que cette nouvelle "série" est rattachée à Connaissance de l'Inconscient. Il y a en effet, à notre sens, deux "laboratoires" privilégiés pour percevoir, saisir, analyser les effets des processus inconscients : le cabinet de l'analyste et le mouvement psychanalytique. Faut-il rappeler que c'est un même mot — die Sache — qui désigne la chose et la cause freudienne ? JB Pontalis

S'il était des choses pour lesquelles je n'étais pas préparé, tandis que je quittais mon village natal en 1960, une approche bienveillante de la théorie psychanalytique en fut assurément une. De sorte qu'il me fallut beaucoup de temps, vaincre beaucoup d'obstacles, faire un certain nombre de rencontres aussi incongrues les unes que les autres, avant de "m'y abandonner". À l'instar de la pédagogie que le renard enseigne au Petit Prince (en vue de le domestiquer) dans le désormais célèbre conte du même nom, de Saint-Exupéry. Mes réticences étaient certes de multiples natures, non seulement inconscientes, mais culturelles et traditionnelles aussi.
Cependant, je gage que l'enseignement religieux que je reçus, lequel fut non moins accompagné d'une pratique introspective tout aussi mystique au surplus, m'y prédisposa davantage que je ne le crus pendant longtemps. Ceci écrit, sans aller jusqu'à dire que tous les chemins mènent à Rome, non plus ! Encore que toute cette idéologie déiste s'accompagna d'une bonne dose de culpabilité, j'en conviens. En conséquence de quoi, les résistances, que le sentiment permanent d'être fautif génère, ne furent-elles pas étrangères à mon chemin de Damas. Et puis, tout paysan borné a toujours en réserve la désormais célèbre réplique : j'm'en fous ! Remets-toi comme tu étais, en somme. D'autant plus que les préjugés ont la vie dure, a-t-on coutume de dire. Et c'est "ma foi" on ne peut plus vrai. Ils agissent comme autant de garde-fous qui délimitent notre espace intérieur. Faute desquels, il n'est pas très rassurant de se trouver, en permanence, au bord du vide. Or, toute accession à une nouvelle théorie équivaut à faire un saut à l'élastique. Il est conséquemment nécessaire de prendre beaucoup de précautions. Voilà pourquoi nous ne jetterons la pierre à personne, pour reprendre une image biblique.
Toujours est-il que vouloir n'est pas encore pouvoir. Au sens où le chemin qui mène à la théorie n'est pas aussi aisé qu'il n'y paraît à première vue. En premier lieu, il faut cesser de raisonner selon le mode commun. En second, nous dirons que généraliser à partir de quelques cas particuliers n'est toujours pas théoriser. C'est même le contraire qu'il convient de faire. Les faits ou autres évènements singuliers ne pouvant que vérifier ou infirmer la validité d'une théorie. Aller du général au particulier en somme et non l'inverse. Tous les mots ou expressions utilisés par telle ou telle doctrine ont un sens à définir ou redéfinir préalablement. Sans doute est-ce à cause de cela que des déviances apparaissent très tôt. Et puis, il y a les modes : l'effet moutons de Panurge. De telle sorte qu'à l'usage une théorie peut tout à fait se retourner contre son sens initial. En effet, qu'est-ce que la psychanalyse, aujourd'hui plus qu'influencée par le féminisme, a à voir avec celle de son initiateur ? On peut se le demander ! Il n'est pas certain que Freud lui-même la reconnaitrait. Le marxisme a connu cela avant elle ! Marx écrira lui-même : "J'ai semé des dragons et récolté des puces !"
Bref, j'ai pu le vérifier tout cela dans ma pratique professionnelle de même qu'en militant syndicalement et politiquement. Et puis, les phénomènes et autres clivages liés au fonctionnement de quelque groupe que ce soit se surajoutent, des divergences se font jour et la question du pouvoir se trouve posée. Laquelle l'emporte, parfois, sur les autres considérations. Les militants du monde arabo-persique nous le diront, eux qui se sont battus pour autre chose que ce qui se met en place. Que faire alors ?
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