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Au rive gauche
22 juin 2011

Et moi et moi et moi !

monde_hier_livre2"Une telle monomanie, un culte si fanatique des beaux-arts, une surestime poussée jusqu'à l'absurde des valeurs esttiques ne pouvaient naturellement se développer qu'aux dépens des intérêts normaux de notre âge. Si je me demande aujourd'hui quand nous trouvions le temps de lire tous ces livres, alors que nos journées étaient déjà si remplies par nos heures de classe et nos leçons particulières, je me rends parfaitement compte que cela se faisait au détriment de notre sommeil et par conséquent de notre fraîcheur corporelle...
Ainsi je ne puis me souvenir d'avoir jamais pris, à la dernière minute, le chemin de l'école autrement que fort mal lavé et sans mon soûl de sommeil, dévorant ma beurrée tout en courant ; il n'y a rien d'étonnant à ce qu'avec toute notre intellectualité nous ayons tous eu des visages maigres et verts comme des fruits mal mûrs, et de plus des vêtements passablement négligés...
Il nous semblait que nous eussions perdu notre temps à nous promener avec des jeunes filles, car, avec notre arrogance d'intellectuels, nous jugions l'autre sexe bien inférieur par les dons de l'esprit et nous ne songions pas à perdre en bavardages oiseux nos heures précieuses...
Assurément au siècle passé la vogue sportive venue d'Angleterre n'avait pas encore déferlé sur le continent.  Il n'y avait pas de stades où cent mille spectateurs hurlaient d'enthousiasme quand un boxeur appliquait son poing sur le maxillaire inférieur de son adversaire ; les journaux n'envoyaient pas encore des reporters chargés de remplir des colonnes de comptes rendus en style homérique sur un match de hockey. Les passes de lutte, les clubs athlétiques, les records de sport passaient de notre temps pour des manifestations  faubouriennes, et le public en était composé d'équarrisseurs et de portefaix; c'est tout au plus si les courses de chevaux, plus nobles, plus aristocratiques, attiraient deux ou trois fois par an ce qu'on appelait la bonne société; mais non pas nous, qui jugions pure perte de temps tout exercice physique..." S. Zweig (suite)

Fisher_king_filmBien que très éloignés de nous, les souvenirs de jeunesse de Stephan Zweig ressemblent davantage à ceux qu'auront mon jeune correspondant et ses amis étudiants, qu'aux miens.
Au point qu'on peut se demander dans quelle mesure j'étais susceptible de pouvoir aider ces jeunes. Et c'est pourtant ce que j'ai essayé de faire pendant des mois. En outre, la correspondance n'est certainement pas le meilleur moyen pour y parvenir. Disons simplement que nous n'eûmes pas le choix.
La fuite dans "le tout culturel" parait avoir été la tentation de la jeunesse intellectuelle et européenne d'avant La Première Guerre Mondiale. Laquelle catastrophe guerrière remit déjà les pendules à l'heure, mais à quel prix !
En revanche, l'entre deux guerres sera plus insouciante, débridée et plus festive aussi. Ainsi qu'on peut l'être à la veille d'une catastrophe, pire encore que celle qui venait d'arriver. Quelque chose qui ressemblait à de la décompression. Bref !
Il en va un peu différemment en ce début de 21e siècle, sans que cela ne diffère de beaucoup sur le fond, de même que sur les résultats. Si ce n'est plus la fuite en avant, comme précédemment, c'est à l'intérieur d'eux mêmes et dans la fête que les jeunes recherchent de nouvelles sensations. Sans que cela ne soit une première pour autant. Car tous les cycles de crises se suivent et se ressemblent, n'est-ce pas ?
Poussés par une crise économique, sociale et politique qui ne cesse de s'accentuer, nos jeunes petits bourgeois contemporains, de plus en plus individualistes, se découragent et dépriment. Puis, faisant semblant de découvrir les vertus du culte de "soi" remplissent les salles d'attente des psychothérapeutes qui ne désemplissent pas. Les suivis psychologiques en tout genre se multiplient et petit à petit la peur s'installe. Leur "moi" est malade !
Et tout ce petit monde de se ruer sur les salles de musculation et autres sports du même type. Les femmes elles-mêmes s'y adonnent de plus en plus, poussées en cela par leur égalitariste obsession de faire comme les hommes. Or, si ceux-ci avaient trouvé le "nirvana" ça se saurait !
Les arts, eux-mêmes, subissent plus que jamais cette mode du tout psychologique. Un climat de fin d'époque qui pourrait, fort heureusement, nous réserver quelques bonnes surprises ! À bas le vieux monde capitaliste !
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