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Au rive gauche
16 juin 2011

Bouillon de cultures !

"Lola fut le premier être humain à vouloir pénétrer dans ma solitude, et je me défendis avec acharnement contre cette intrusion. La solitude est les_confessions_d_un_bourgeois_livrel'élément vital de l'écrivain. J'ai toujours fui l'amitié que je considérais comme une faiblesse, sinon comme une trahison. Au sein de l'univers protestant allemand, il ne m'était pas difficile de rester isolé : dans mon âme, dans mon caractère comme dans mes goûts, j'étais profondément et définitivement catholique. À cette époque, je me familiarisai avec la poésie française; je lisais surtout Villon, Verlaine, Claudel, Mallarmé et Péguy. Ces deux derniers me touchaient particulièrement : ils parlaient un langage proche du mien et je découvris chez eux le même type d'affinités que j'avais décelées, quelques années plus tôt, dans les livres de Kafka. Affinités qui ne s'expliquent ni par le style, ni par les procédés littéraires, ni même par une communauté de vues. Chacun de nous appartient à une famille d'esprit : ma hiérarchie familiale est certes dominée par Gœthe, mais il m'arrive de rencontrer de nouveaux parents, frères et oncles spirituels égarés dans le temps et dans l'espace. En abordant Péguy pour la première fois, j'eus l'impression de l'avoir déjà lu. Avec les âmes sœurs, on emploie une sorte de jargon familial : nul besoin de s'expliquer, on se comprend à demi-mot; leurs messages, leurs allusions sont décodés sur-le-champ. Telles sont les âmes qui peuplent la solitude de l'écrivain, solitude qu'aucun ami ni aucune maîtresse ne saura jamais combler.
C'est donc avec un soin jaloux que je m'efforçais de préserver cette solitude contre les attaques de Lola. L'âme de l'écrivain a besoin d'un ultime refuge, d'un dernier retranchement : quoique nous soyons en quête de la vérité, nous en conservons déjà une parcelle au fond de nous, que nous ne livrerons jamais à personne. J'ai toujours recherché la sincérité et la franchise absolues, loin des chemins battus de la fausse pudeur; je n'ai jamais eu de "secrets". Dans mes articles de journaux, je notais tout ce que la vie offrait à mes yeux - mais "le" secret, mon secret constitutif, pour ainsi dire, qui fait que je suis ce que je suis et autre qu'autrui, ce secret-là, je ne l'ai jamais trahi." Sandor Maraï

A_l_est_d_eden_filmPressé que j'étais, lors de l'interview que je donnai dernièrement à la Rodia, par les observations et remarques amicalement "hostiles" de mes interlocuteurs, j'omis de préciser davantage ma pensée au sujet de la place ainsi que des limites de l'idéologie démocratique bourgeoise pour les classes laborieuses. Laquelle culture représente l'idéal conscient et inconscient de tout individu, dans une société dominée par ladite bourgeoisie.
C'est ainsi que les travailleurs grecs sont plus que certainement en train de prendre au mot les idéaux démocratiques bourgeois de liberté d'égalité et de fraternité ! Jusqu'à ce qu'écœurés par leurs limites, ils en arrivent solidairement à revendiquer la direction des affaires pour et par eux-mêmes. Et les travailleurs du monde entier avec eux !
Or si "le moi idéal" fut paradoxalement un legs du féodalisme, selon François Guizot (idéologue bourgeois, s'il en est un), il ne trouve son véritable et total épanouissement que sur la base même de la société démocratique bourgeoise, à savoir : la propriété privée des moyens de production ! Sous cette réalité économique-là on discerne néanmoins sa véritable négation, pour peu qu'on soit averti. C'est ce que Marx appela "le processus révolutionnaire de production" du mode de production capitaliste. Nul besoin en conséquence d'aller chercher l'origine de la théorie révolutionnaire dans la tête de je ne sais quel penseur bourgeois. Il suffit d'avoir choisi son camp et d'observer ce qui se passe. La science bourgeoise y pourvoira au 19ième siècle déjà. Inutile donc de s'entêter à nier le rôle capital, même partiel, que la culture bourgeoise joua dans le processus d'émancipation de l'humanité.
Dans un premier temps, une révolution socialiste ne pousserait les préceptes démocratiques bourgeois qu'à leur extrémité, pour ensuite les remplacer par quelque idéaux véritablement nouveaux et engendrés en son sein. Le premier d'entre eux serait plus que probablement celui qui consisterait à se dire qu'il n'est pas nécessaire d'être propriétaire pour se sentir concerné par la production d'un excédent social. Et encore moins vouloir à tous crins se l'approprier individuellement, quitte à mettre la planète à feu et à sang. En expropriant (en les ruinant certes) quotidiennement des petits propriétaires, le capitalisme en fournit déjà la preuve ! C'est ainsi que l'extrême majorité des gens qui concourent à la production ne sont plus que salariés.
En somme, c'est en soumettant la culture bourgeoise à une critique de classe sans complaisance, qu'elle peut toujours servir de tremplin à l'émancipation des classes exploitées, tout en la débarrassant de ce qu'elle véhicule encore d'éléments oppressifs et réactionnaires. C'est cela, et bien d'autre choses encore, que j'aurai pu dire si l'entretien auquel je me soumis avait été davantage préparé. Autrement écrit, prendre l'idéologie de la classe qui nous exploite pour du bon pain, équivaut à en redemander, à être l'agent de sa propre oppression, le comble du comble ! C'est cela que les révolutionnaires reprochent aux frères jumeaux que sont devenus le stalinisme et le réformisme.
À bas la bourgeoisie et ses valets !
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